Organisation de l’islam : Lettre ouverte à mes coreligionnaires.
De l’imam Noureddine Aoussat
Il faut que vos voix s’élèvent ! ( 1ere partie )
Mes chers coreligionnaires !
Voilà donc plus de deux ans que l’institut Montaigne, notamment par l’activisme de Hakim El Karoui, ne cesse de publier des rapports et synthèses d’enquêtes sur l’état actuel de « l’islam de France », et surtout d’émettre des propositions quant à son avenir.
L’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la république, exprimant dès l’automne 2017 son souhait de restructurer complètement l’organisation de l’islam de France, vint alors corroborer et officialiser ce que les «inspirés» et instigateurs des rapports de l’institut Montaigne sur l’islam avaient déjà entamé, dès 2016.
Sans trop nous attarder sur cette conjonction des volontés, et sans même chercher à présager le rôle véritable ou prétendu de l’influence de ces rapports et propositions d’El Karoui sur les décisions finales que devra prendre le président de la république; le plus important aujourd’hui, à mon sens, si ce n’est déjà trop tard, c’est de nous interroger sur nos positions à nous musulmans de France !
Un exemple très significatif : cela fait au moins deux ans que les propositions d’instaurer « une taxe » sur la consommation halal et le pèlerinage est évoquée, en vue de financer le nouveau dispositif de représentation et de gestion du culte musulman. Il est vrai que les modalités de l’application de cette taxe ne sont toujours pas clarifiées, ni que se mise en place ne soit officialisée. Néanmoins, et rien que sur le principe même de la suggestion d’une telle taxe, les musulmans devraient s’y prononcer de façon claire et argumentée, et montrer l’inadmissibilité, l’inacceptabilité et aussi et surtout l’illégalité -juridique (au sens du droit positif) et théologique- d’une telle taxe.
Il est très navrant et regrettable aujourd’hui, et, à terme sans doute très dommageable, de constater que les musulmans de France soient tant absents dans ce débat. Cette patente indifférence et ce manque de réactions quant à la future organisation de la pratique de votre religion, risque pourtant de vous coûter cher : Non seulement votre image et votre pratique en seront impactés ; mais surtout, de gré ou de force, et d’une manière directe ou indirecte, vous y serez les vaches à lait et les financeurs. Autant dire, -au propre et au figuré- : la farce de la dinde ! Bien loin du dicton « c’est celui qui paye qui choisit la musique ! » ; en l’occurrence, celui qui paye ne choisit rien du tout !
Mes chers coreligionnaires ! Je ne puis imaginer un seul instant que votre silence, face à tout ce vacarme et ces polémiques autour de la réorganisation de l’islam, puisse durer encore. Je suis certain que vous en avez énormément de questions à soulever, de remarques à signifier, de réserves à émettre, et aussi, sans aucun doute, des idées à proposer et des protestations à exprimer. Cependant, comme à l’accoutumée vous attendez que d’autres le fassent pour vous.
Malheureusement, vous en convenez bien mes chers coreligionnaires, au jour d’aujourd’hui, mis à part la louable et courageuse -et, prometteuse aussi je l’espère- entreprise de la grande consultation lancée au mois de juin, aucune position, réaction, ou manifestation significative ne montre que les musulmans sont décidés à se mobiliser et agir !
Nous sommes dans le dernier virage avant l’arrivée ; avant que les changements que l’administration du président Macron veut imposer, ne tombent. Et le moins qu’on puisse dire c’est que ce projet de changement, non seulement ne semble accorder aucune attention aux attentes des musulmans de France, mais il va se faire sans eux, et a fortiori, vraisemblablement contre eux.
Par ailleurs, mes chers coreligionnaires ! Avez-vous réfléchi un instant ou envisagé que l’histoire retiendra qu’une certaine année 2018 -ou disons années 2017, 2018 et 2019- « une grande » réforme de l’organisation de l’islam de France s’est faite, et que les musulmans de France (leurs représentants, leurs fédérations, leurs responsables associatifs, leurs cadres religieux et « leurs médias ») n’en ont été que des spectateurs, voire pour certains de véritables pantins ? Force est de constater que les musulmans n’ont été ni associés à cette réforme, ni n’y ont réagi d’aucune manière pour ne pas la subir. Pis encore, l’histoire retiendra qu’ils eurent été -si rien n’est fait pour arrêter cette mascarade- les vaches à lait de ce projet !!
Mes chers coreligionnaires, réveillons-nous ! Bougeons ! Exprimons-nous ! Ne comptons sur personne pour le faire pour nous ou à notre place. Ce qui se fait sans nous ne se fait jamais pour nous, mais plutôt contre nous ! Les voix qui ne s’élèvent pas ne sont pas entendues ; les positions qui ne sont pas exprimées, ne sont pas considérées, et qui ne dit mot consent ; voilà les règles et principes de notre société d’aujourd’hui.
Il est vrai qu’il fut un temps où il y avait bien en France des fédérations, des associations nationales, régionales ou locales, qui activaient et réagissaient dignement ; voire des personnalités musulmanes ou non qui prenaient la parole pour défendre les intérêts et droits légitimes des musulmans.
Ce n’est plus le cas aujourd’hui ; les choses ont beaucoup changé. L’islam de France est à un tournant : Nous quittons une époque, et nous rentrons dans une nouvelle.
L’islam d’en France de demain, qui est entrain de poindre à l’horizon, n’a plus beaucoup à voir avec le passé :
Nous allons au-devant de nouveaux défis ; nous devons répondre à de nouveaux besoins de nos enfants et générations à venir ; nos rapports avec le reste de la société devront inexorablement changer ; notre citoyenneté pleine, et, notre religiosité assumée, enracinée et authentique en sont deux enjeux essentiels.
Dans cet entre-deux-époques, et dans le clair-obscur d’une organisation actuelle de l’islam de France défaillante et décriée par tous -ou presque-, que nous sommes indéniablement en train de quitter petit à petit, et dans le flou des propositions et souhaits de ce que sera la future organisation, les démons sont en œuvre, dans grande agitation.
Entre nous, en intracommunautaire -si tant est qu’on puisse vraiment parler du communautaire face à un tel enchevêtrement- ou vis-à-vis des acteurs publics, l’absence de dialogue et de concertation, laisse penser que nous nous dirigeons vers une rupture et non de passation de témoin entre l’ancienne et la nouvelle organisation de l’islam de France.
Mais force est de constater que ça se passe toujours dans le même esprit sous-jacent la politique musulmane de la France : Un esprit colonial !
Ne restons pas indifférents, ne restons pas immobiles ! Car, par-delà toute sorte de considération, la question essentielle est de savoir si, aujourd’hui, il n’est pas grand temps que nous devenions des acteurs et non plus des spectateurs de cette « politique musulmane de la France » ? Oui ! Nous devons agir, car nous n’avons pas le droit de laisser les choses se faire sans nous ! Nos enfants ne nous le pardonneront jamais ! Allah nous en demandera des comptes, et notre sort est vraiment à plaindre devant Allah, d’avoir failli à notre devoir d’agir et de réagir, si -à Dieu ne plaise- nous ne nous ressaisissons pas dans ce dernier virage !
Nous avons les moyens de peser sur le débat concernant l’islam. Nous avons les compétences et ressources nécessaires à cela. Seulement, nous restons minés par les divisions, les cloisonnements, les méfiances de l’extérieur et de l’intérieur. Il faudrait que nous nous décidions à affronter tous ces blocages et points d’achoppements, avec courage, confiance et intelligence.
Pour commencer : Élever vos voix ! exprimez-vous ! obligez et poussez les acteurs et responsables dont vous êtes proches à cesser de faire des calculs lamentables et s’exprimer le plus rapidement, et de façon la plus claire et la plus responsable.
D’aucuns diront, à tort ou à raison, encore faut-il comprendre les tenants et aboutissants de ce qui est en train de se concocter ?
Autrement dit, quels sont les enjeux de cette nouvelle réorganisation de l’islam de France ? Pourtant les médias en parlent depuis plus d’un an, les rapports de l’institut Montaigne nous fournissent moult détails, et les nombreuses interviews, que Hakim El Karoui donne ici et là nous submergent d’informations.
Alors, cessons de tergiverser, ne nous méprenons pas, et ne nous cachons pas derrière une soi-disant complexité de la situation. Toute l’actuelle réorganisation de l’islam de France, même si elle semble vouloir toucher divers domaines (Mosquées, formation des imams, l’image de l’islam, le discours sur l’islam, « les conflits d’intérêts » dans les filières du halal et la hajj…), elle ne vise en réalité qu’un seul objectif, et ses enjeux se résument en un seul et unique enjeu : reconduire la même politique musulmane de la France !
Si le but et le seul enjeu de la réorganisation du culte musulman est de créer une nouvelle structure pour le contrôle de l’islam, ça ne sera qu’une énième tentative, qui s’ajoutera aux précédentes et ne fera qu’esquiver les vrais problèmes.
Cette nouvelle réorganisation, telle qu’elle s’annonce, et telle qu’elle se mène depuis près d’un an maintenant, montre encore une fois que ni les pouvoirs publics, ni les musulmans de France ne sont prêts pour le grand débat et la grande réforme qui nous changera de deux siècles de politique musulmane de la France : autoritaire et dirigiste, manipulatrice des élites musulmanes, et piétinant littéralement le principe de séparation des Eglises et de l’Etat et la laïcité d’une manière générale.
En effet, de l’arrivée de Napoléon en Alexandrie en 1798, à l’arrivée au pouvoir de Macron en 2018, la politique musulmane de la France n’a point changé dans ses mobiles, sa stratégie et ses mises en œuvre. L’esprit sous-jacent de cette politique n’a pas changé, alors que la France a pourtant changé, le Monde a changé !
L’État et toutes ses administrations ne devraient être rien plus que des facilitateurs, vos partenaires et interlocuteurs dans ce changement et cette nouvelle organisation, et jamais des ordonnateurs ou les pilotes de celle-ci.
Il est extraordinaire d’assister à cette torpeur et cette nonchalance des musulmans de France, alors que le scandaleux rapport de l’institut Montaigne, daté de septembre 2018, les déteint sous un visage qui fait peur. Ce rapport, nous dit-on, devrait servir de base pour le dernier rapport qui sera présenté au président de la République.
Mes chers coreligionnaires, imaginez un instant, la réaction du président de la République, quand on lui présentera le scandaleux rapport sur l’état de la communauté musulmane de France. Que ce rapport dise en substance que 28 % de cette communauté, des âgés de plus de quarante ans, sont en sécession avec les valeurs de la République ; et que leurs enfants de moins de 25 ans sont à 50 % en rupture avec la société, en repli et dans un processus qui pourrait les conduire à la radicalisation violente.
Imaginons qu’il accorde crédit aux thèses, hypothèses et conclusions de ce rapport, vous imaginez un peu la panique qui sera la sienne. Que va-t-il décider à la lecture d’un tel rapport ?
Deux points pour conclure ce papier.
Le rapport « La fabrique de l’islamisme » est, comme l’illustre si bien son image de couverture : un ensemble d’engrenages et de mécanismes que l’auteur appelle processus. Ces engrenages sont censés, selon son auteur représenter l’état actuel de l’islam de France. Cependant, force est de dire, que ce rapport très alarmiste, truffé d’hypothèses et surtout de conclusions tendancieuses, et idéologiquement orientées, accable et culpabilise une communauté déjà stigmatisée et pointée du doigt depuis quelques années.
Réveillez-vous de vos langueurs mes chers coreligionnaires ; renseignez-vous, cherchez à comprendre ce qui se joue autour de vous, libérez-vous de vos peurs ; exprimez-vous ! Elevez vos voix ! C’est ainsi et ainsi seulement que vous montrerez qu’en tant que citoyens vous êtes à la hauteur de ce que vous aspirez pour votre religion et celle de vos enfants !
De l’imam Noureddine Aoussat
* La rédaction d’Islam&Info publie cette tribune mais ne partage pas nécessairement ses opinions