J’ai vu les Rohingyas au camp du Banghladesh vivre entre la terre battue et les abris de fortune, j’ai vu des femmes en souffrance accroupies pour faire à manger ou faire la queue pour une offrande, j’ai vu des enfants porter du bois pour la cuisson et qui perdent peu à peu leur innocence. J’ai passé du temps dans les hôpitaux publics, opéré dans une clinique privée et visité une multitude de centres de santé primaires plus ou moins efficace.
L’état des Rohingyas est désormais connu de tous ou presque. Un exode massif d’une minorité musulmane qui vivait depuis des siècles dans ce qu’on appelle la Birmanie. Une conséquence néfaste de ce qu’on appelle un état nation, puisque l’état birman enfanté par la colonisation anglaise a donné une nationalité à cette minorité pour la leur retiré ensuite. Le climat international et le glissement sémantique d’islamisme vers terrorisme vers Islam et pour finir musulmans a fait que cette population qui embrasse une religion décrite comme néfaste et dangereuse est devenue de fait indésirable. L’histoire a toujours tendance à bégayer !!
Depuis fin août 2017, un exode massif des Rohingyas est en cours, l’UNHCR estime à 622 000 le nombre des Rohingyas nouvellement arrivés, avec ceux qui pré existaient, on parle d’un chiffre qui peut avoisiner le million si on additionne tous les camps qui se sont remplis par vagues successives depuis1992, date de la première arrivée des Rohingyas vers le Bangladesh.
Quand on arrive à l’hôpital public de Cox’s Bazar la plus grande ville située au nord du camp, un sentiment de gêne et de dégoût vous prend à la gorge. Une entrée certainement jadis belle et arborée et qui ressemble désormais par le fait des hommes à une déchetterie. Quand on s’aventure dans les services, les peintures effacées et les murs et sols remplis de crasse interpellent votre esprit et votre intelligence sur l’endroit où vous vous trouvez. Sommes-nous dans un hôpital ?
Il ressemble hélas à plusieurs hôpitaux publics qu’on peut voir à travers les pays dit du Sud, diront certains, mais quoi qu’on dise, je ne m’y ferais jamais. La propreté n’a jamais et ne sera jamais une question de moyens, mais de savoir être. Mais le laisser-aller jour après jour, fait que les médecins et le reste du personnel s’habituent peu à peu à ces situations. Sans parler de ceux qui souhaitent que ceci reste pour inciter les patients à partir dans le secteur privé même en se saignant.
Les patients Rohingyas étaient dans le dernier étage qui leur a été réservé un mélange entre hommes, femmes et enfants dans le même service, certains cas urgents ont été opérés d’autres moins aigües comme les hernies des enfants ou calculs des vessies attendent depuis des semaines. Les capacités du bloc opératoire étant limitées, d’autant plus que tout le monde ou presque quitte à 14h. L’UOSSM, ONG avec laquelle je suis parti, ont trouvé la parade, c’est d’aller opérer les patients dans la clinique située à quelques dizaines de mètres de l’hôpital afin de rendre service aux patients d’autant plus qu’on était trois chirurgiens et deux anesthésistes Et les seize patients ont été opérés en deux jours. On a fait comme les autres et engraisser un peu la vache, mais il fallait rendre service, et ce n’est pas le moment d’opérer une révolution dans les esprits.
Personnellement, j’étais étonné de ne pas trouver plus de femmes qui auraient besoin d’interventions, sachant qu’il y a des dizaines de milliers de Rohingyas et que les pathologies opérées nous indiquaient clairement que ces pauvres Rohingyas ont été délaissés médicalement en Birmanie. J’ai commencé alors ma quête aux informations, ce qui n’est pas du tout chose facile. Les ONG s’installent ouvrent des centres de santé primaires et font dans le traitement des symptômes et des urgences, il y a plus de 150 postes d’offres de soins dont seulement une quarantaine qui ont le standard minimun de l’OMS, et en ce qui concerne la santé maternelle, l’offre est encore chaotique. Sur les 36 maternités existantes seules une vingtaine assurent un service continu, par conséquent les milliers de femmes enceintes arrivées au camp continueront à accoucher sous leurs abris de fortune. J’ai su dans une réunion avec l’UNFPA qu’une femme est décédée dans la nuit suite à son accouchement hémorragique parce qu’on l’a emmené tard au centre de santé et ensuite à l’hôpital.
Et l’hôpital, parlons-en alors !!
L’état des hôpitaux publics est ce qu’il est et qui ont déjà du mal à gérer la population bengalie du district de Cox’s Bazar estimé à 400 000 personnes, d’autres hôpitaux peuvent prendre le relais, notamment celui d’une fondation qui s’appelle Hope et de l’hôpital de la Croix Rouge qui fonctionne depuis début novembre. Mais ces offres sont en deçà du besoin d’une population de près d’un million de personnes, c’est pour cela que l’idée de la mise en place d’un hôpital mère-enfants pour les Rohingyas a trouvé pour moi tout son sens.
A suivre…
Dr Zouhair Lahna
Médecin Humanitaire