Le nom chantant de cette ville du Bangladesh sonne depuis plusieurs mois comme symbole d’accueil et refuge d’une population meurtrie, fuyant le supplice, l’agression voire l’agonie. Bien que le problème des Rohingyas est ancien, les exactions filmées et diffusées en masse sur les réseaux sociaux puis par les médias lui ont donné une dimension planétaire. Plus personne pouvait dire, je ne savais pas. Le Bangladesh commence à subir les pressions pour laisser ces damnés non bienvenus et Aung San Suu Kyi a eu son lot de critiques d’autant plus qu’avec un Nobel de la paix à son actif, on ne comprenait ni son silence ni ses explications évasives et malhonnêtes face à cette épuration d’ampleur.
Et nous, médecins dit humanitaires, que pouvons-nous bien faire ? Bien sûr chercher un moyen pour y aller, aider les gens en difficulté et comprendre vraiment ce qui s’est passé ?
Depuis plusieurs années déjà, j’ai souhaité me rendre utile pour cette minorité humiliée, disons depuis les premières exactions d’ampleur, médiatisées de 2012 mais je n’ai pas trouvé le moyen d’y aller, aucune grosse ONG médicale ne s’y intéressait en ce moment et le seul collectif formé en France le HAMEB (Halte Aux Massacres en Birmanie) ne répondait pas à toutes mes sollicitations.
Les exactions douloureuses médiatisées fin Aout 2017, ont eu un impact très important dans le monde en général, et pour les musulmans en particulier. Voilà une minorité musulmane 2% qui vit dans un pays à majorité bouddhiste au moins de plus de 500 ans, privée de sa nationalité en 1982 pour être ensuite à tord pointée comme terroriste et poussée à quitter les terres de ses ancêtres sous les coups des exactions en tous genres : tortures, agressions sexuelles, incendies des maisons voire de villages entiers et d’assassinats bien évidement.
La réponse des ONG musulmanes surtout en Occident a été rapide, mais elle peine à dépasser la distribution alimentaire et la fourniture des bâches et des tentes, et la plupart agissent de façon ponctuelle, sauf les ONG turques et indonésiennes qui œuvrent sur le long terme. Actuellement ; le nombre des réfugiés estimé par l’UNHCR à 630 000 nouveaux venus en 3 mois, et il continue de grossir.
Quand on arrive à l’immense camp de Kutupalong, une atmosphère de désolation vous prend, une multitude de visages cuivrés et livides, de tout âge, on y lit une impuissance, une demande et une certaine résignation. Les plus anciens, arrivés dans ce camp depuis les années 90, moment où les exactions ont commencé, mais personne n’en parlait, parce que le sujet n’est pas intéressant. Et par vagues successives, les camps se sont remplis de réfugiés obligés de tout quitter pour sauver leurs vies ou leurs honneurs.
Quand j’arrive sur les lieux en aménagement par une association anglaise, je découvre des jeunes qui s’affairent pour mettre en place une construction faite comme les autres de bois et de bambous en guise de piliers et de toile en guise de murs, lieu sommaire mais rapide à mettre en place et efficace. Je me suis approché de personnes âgées qui nous regardaient, je n’avais pas vraiment besoin de traducteur pour comprendre ce qu’ils peuvent ressentir. Atiq le jeune bangali qui nous traduisait pour nous expliquer qu’ils étaient dans ce camp depuis deux mois et que la cause qui les a fait décider c’est la protection de leurs femmes et filles, d’agressions sexuelles utilisées par les soldats birmans comme arme de guerre. Une arme redoutable d’humiliation, utilisée pour pousser les Rohingyas à l’exil et ensuite récupérer leurs terres.
De l’autre côté de la frontière, la propagande de terrorisme des musulmans marche tellement bien, que de les voir disparaître des vues des habitants bouddhistes devient naturelle. Et leur faire subir toute sorte d’exactions y compris le viol de masse est accepté sans problème. Il est vrai que quand on retire à des humains leur humanité et on les place en ennemis dangereux, le peuple participe à la meute ou au moins tourne sa tête pour regarder ailleurs.
Le camp de Kutupalong est immense, les tentes sont côte à côte empilées, laissant peu de chemin entre eux. Les ONG s’affairent à construire des puits ou des latrines, d’autres ont pu mettre en place des points de santé primaires ou des classes pour enfants. J’ai pu rencontrer deux jeunes anglaises d’une vingtaine d’années en train d’enseigner l’alphabet et les premiers mots d’anglais à un peuple privé d’éducation depuis plus de trente ans. Un jeune homme anglais d’origine libyenne s’affaire à tracer les plans des futures maisons, et des jeunes australiens d’origine libanaise apportent également leur aide et leur savoir-faire. Il n’est pas nécessaire d’avoir fait de longues études ou d’avoir des diplômes pour aider, toute personne qui ressent de la douleur face à ce que subit cette population peut se rendre utile, mais il est important de le faire dans le cadre d’un projet efficace et de longue haleine, afin de pouvoir apprécier l’impact.
Plus tard, en soirée, j’ai rencontré Theresa, une sage-femme anglaise à la retraite qui travaille dans un dispensaire du camp, venue avec une ONG pour deux mois, elle m’a parlé des conditions des femmes, dont la plupart accouchaient dans les tentes seules ou avec l’aide d’une voisine, avec des risques pour elles et leurs nouveau-nés. Les villages ont été détruits, les humains, mêmes ingénieux ont besoin de temps pour reconstruire un nouveau voisinage et de nouveaux réflexes… Les maisons d’accouchement sont rares et trois mois après le début de la crise il n’y a qu’une ONG qui a un bloc opératoire fonctionnelle.
A suivre…
Dr Zouhair Lahna
Médecin Humanitaire