A Idlib, j’ai opéré plusieurs femmes durant mon séjour qui a duré plus d’une semaine dans cette ville. Des interventions soutenues du matin au soir, et dans des conditions pas toujours faciles eu égard au manque de matériel. A la fin, j’ai senti que j’ai fatigué un peu le personnel, mais ils m’ont plutôt remercié et demander de revenir les voir…
Les deux dernières femmes opérées m’ont particulièrement marquées. Elles représentent à elles seules la patience et la résistance de toute une catégorie de femmes syriennes. Les deux femmes ont des maris »disparus » dans les geôles du régime. La première 35 ans, mère de 5 enfants, mari disparu depuis trois ans et la seconde plus jeune trois enfants, son mari a disparu depuis plus de deux ans, lui aussi. Toutes les deux sont pauvres et souffrent de complications suite à leurs accouchements.
Les femmes sont la raison de vivre de toute résistance populaire, c’est pour cela que les méthodes de contre insurrection se basent sur la phobie infligée aux femmes (et leurs enfants) afin qu’elles partent et abandonnent leurs foyers. Et une résistance sans population s’écroule comme le savent tous les théoriciens de la guerre.
Depuis toujours, je me suis intéressé à la santé des femmes du peuple, les plus humbles, celles qui forment l’ossature de la société, qui sans elles, elle s’écroule. Comme on peut le voir dans la crise syrienne, les plus aisées sont parties les premières ne laissant la terre et les hommes qu’aux femmes pauvres ou aux femmes convaincues. La première femme que j’ai opéré souffrait d’une descente d’organes génitales avec incontinence urinaire d’effort suite à ses accouchements difficiles et ce depuis plusieurs années, la deuxième a eu un accouchement très dur et très long ce qui lui a occasionné une fistule recto vaginale depuis 6 ans. Ces problèmes leur infligent une vie sociale désastreuse, mais se doivent de garder le silence. Leurs maris respectifs n’étant plus là. Aucune nouvelle, ni morts ni vivants. Elles se doivent également de rester sur place au cas où on les libère ou pour recevoir une nouvelle. Toute perspective est compromise. Elles attendent et survivent avec leurs enfants, en espérant des jours meilleurs…
Alors, quand on me demande et parfois avec insistance pourquoi je prends des risques, en venant sur des terres incertaines, je pose la question : Ces femmes n’en valent pas la peine ? Comme la petite Mahdia que j’ai pu opérer avec mes collègues syriens pour reconstruire son bassin endommagé par un missile, j’ai juste été au bon moment au bon endroit pour le faire. Et en fin d’intervention, j’ai compris pourquoi je suis resté plus longtemps que prévu en Syrie et pourquoi mon voyage d’Idlib à Alep a été retardé. Ce sont encore des signes du destin. Et qui peut fuir son destin ?
Dr Zouhair LAHNA
Médecin humanitaire