L’image de cet enfant syrien de trois ans, échoué sur une plage turque trouvera-t-elle le même essor que l’image de la petite fille vietnamienne qui a provoqué l’arrêt de l’agression américaine sur le Vietnam ?!!! On peut toujours rêver. Et à chaque fois que l’être humain a un rêve qu’il souhaite vraiment le réaliser, il s’y emploie par tous les moyens pour que ce rêve aboutisse. Et ceci devrait être notre rôle à tous.
Entre omerta sur le quotidien très dur des syriens, la désinformation sur la réalité des forces en présence et des objectifs réels de la destruction de ce pays et enfin la mise en avant systématique de l’ogre Daech, les médias tenus par le même lobby se jouent souvent des opinions publiques dans le monde.
Parfois, un événement auquel on ne s’attendait pas vient perturber les dessins des destructeurs de ce monde. Et si quelqu’un attend des gouvernements des puissances ou encore le Conseil de Sécurité de l’ONU ou plutôt du machin (pour reprendre l’expression de Charles De Gaule) qu’ils se bougent pour arrêter le massacre et les souffrances des syriens, alors c’est qu’on a encore rien compris à la marche de ce monde. La seule force qui peut obliger nos « dirigeants » à agir est bien une volonté populaire, parce que l’être humain quel que soit son appartenance ou sa croyance, il garde une conscience. Et cette dernière se réveille quand elle est bousculée par un événement qui lui rappelle sa condition d’humain et sa fragilité.
Si en 1972, la photo de la petite vietnamienne brûlée au Napalm a ému le monde et a obligé le président Nixon à arrêter l’agression de son armée sur le Vietnam sans réaliser ses objectifs qui étaient en ce moment la destruction pur et simple des combattants Viêt-Cong et par conséquent de l’idéologie communiste, la photo du petit garçon échoué sur la mer provoquera t- elle un éveil des opinions publiques pour demander à leurs gouvernants de trouver une solution à la crise syrienne et à la destruction en règle d’un peuple et d’une civilisation ? On ne peut le savoir !!
Des morts d’enfants de tout âge, il y en a eu en Méditerranée ces dernières années. Les récits des survivants pullulent. Mais dans un monde de l’image, le photographe qui a pris la photo et l’autre qui a filmé les vagues qui bousculent le petit corps, ne pouvaient pas laisser ceux qui les observent insensibles. Les médias sociaux ont permis la diffusion de cette image, reprise en boucle par les chaines d’informations, par conséquent un sentiment de colère associé à une impuissance s’est accaparé de l’opinion publique internationale.
Le timing de cet ‘’accident’’ n’est pas anodin, c’est un signe du destin, puisque le monde est à la rentrée et les vacances se sont terminées. Cette coïncidence permettra à tous ceux qui le souhaitent de se mobiliser et mobiliser les citoyens et l’opinion publique même en dehors de toutes les corporations préexistantes comme les partis politiques, les syndicats ou les associations. Les nouveaux moyens de communication permettront de mobiliser les citoyens afin de se rassembler et dire NON à l’infamie.
Aujourd’hui, ce qui arrive au peuple Syrien peut arriver à n’importe quel autre peuple pris entre les crocs des puissances et les mauvais calculs politiciens. A Alep, la ville est détruite plus que Gaza où j’étais l’été dernier en 2014. La ville est dépeuplée des deux côtés. Du côté dit « libéré », on se prend des barils de TNT avec une mort qui arrive par le ciel à n’importe quel moment de la journée comme de la nuit. Du côté du régime, c’est l’arbitraire, les mises au secret sans procès avec tortures à tous les étages, de telle façon que n’importe qui entend les récits des rescapés ou regardent les vidéos insupportables des séances de bastons, souhaiterait combattre et mourir au lieu de se faire prendre.
Les services de tous les pays occidentaux sont dans la région et même dans le pays, ils connaissent par cœur ce qui se passe en Syrie, mais aucun n’a pris la décision d’arrêter ce massacre de la population d’une façon ou d’une autre. L’apparition de Daech a fait passer l’attention à ses excès, à ses mises en scènes de décapitation, de brulures de personnes et autres marchés aux esclaves. Mais les exactions en masse qui ont obligé les syriens à partir ne sont plus prises en charge et diffusées par les médias dominants.
Alors vint ce petit enfant pour rappeler au monde son inconscience, sa complicité et bientôt sa perte s’il ne se ressaisit pas. Il nous demande par son sacrifice et son innocence de l’honorer. Et on ne peut l’honorer qu’en faisant en sorte que sa mort ne soit pas vaine et qu’il n’est mort que pour d’autres puissent recouvrer une dignité !!
Les gens n’abandonnent pas leur passé vers un avenir incertain par plaisir. Et le déplacement de près de dix millions de Syriens, soit presque la moitié de la population, n’est pas dû au hasard. Ces Syriens nous disent qu’ils n’ont pas trouvé d’autres solutions pour leur survie que de fuir et d’abandonner.
Laisser les barils de TNT leur tomber sur la tête et détruire leur maison et leur avenir et faire semblant de les aider en vidant le pays de ses élites et sa force vive, n’est pas une solution. Nous devrions faire tout ce qui est en notre possible afin que ce massacre cesse, en obligeant les belligérants et leurs sponsors matériel et idéologique à cesser les combats…
Zouhair LAHNA
A propos de Zouhair LAHNA:
Dr Zouhaïr Lahna, est chirurgien obstétricien marocain et acteur associatif.
Ancien Chef de clinique des Universités de Paris VII et membre de Médecins Sans Frontières.
Il a participé à plusieurs opérations humanitaires à travers le monde : Afghanistan en 2001, Congo 2004, Jénine en 2006 et les guerres de Gaza de 2009 et de 2014.