Le docteur Zouhair Lahna continue de nous livrer son carnet de bord à l’étranger. L’année dernière à Gaza, désormais à Alep en Syrie, il nous partage son quotidien. Aujourd’hui, il revient sur sa rencontre avec une femme d’exception, docteur Farida.
« L’icône d’Alep…
Une seule gynécologue pour tout Alep ville dite libérée de 300 à 500 000 habitants. C’est juste impossible à croire ou imaginer et pourtant je l’ai rencontrée. Et c’est pour elle et ses patientes que je suis venu à Alep !!
J’ai connu Dr Farida, lors de notre première rencontre au centre de l’UOSSM (Unions des Organisations de Syriennes de Soins Médicaux) de Bab al Hawa (limitrophe de la Turquie) pour la formation en Obstétrique d’Urgence. Très vite, elle m’a fait comprendre qu’elle est souvent obligée de dépasser ses compétences et m’a demandé de venir l’aider. Elle a parfois du mal à répondre à un certain nombre d’interventions qu’elle n’a pas appris ou qu’elle ne maitrise pas encore très bien. Les patientes qui viennent la voir sont souvent très pauvres et ne peuvent pas quitter le pays. D’autres femmes avec leur famille ont tout simplement décidé de rester sur place et de s’adapter aux conditions de vies qui leur ont été imposées. Entre bombardements et insécurité !!
A la question, pourquoi toi ? Pourquoi tu n’es pas partie avec ton mari ophtalmologiste vers des endroits plus ‘’cléments’’ ? Elle répond avec sérénité qu’elle n’y a jamais pensé. Pas par un militantisme exacerbé pour une évolution ou une idée mais juste par devoir. C’est ce que j’appelle l’héroïsme ou la réponse au devoir. J’aime cette définition des héros que j’ai souvent rencontrée dans mes périples : ce sont des personnes ordinaires qui devant des situations extraordinaires deviennent extraordinaires… Loin des clichés de Hollywood et des maquillages.
Dr Farida est un nom devenu familier à toutes les syriennes d’Alep dite libérée, elle voit en journée une centaine de patientes au bas mot, entre l’hôpital Omar Ben Abdelaziz où elle opère et fait des accouchements ou des césariennes et son cabinet privé en ville où elle consulte tous les soirs jusqu’à 20 h ou 21h.
Pour l’aider dans son entreprise, il y a deux sages femmes qui se relayent toutes les 12h. Et elle a pris sous son aile les trois premières aides infirmières qui sont sorties de l’école qui vient de voir le jour et qui est situé dans le sous sol d’une école bombardée à plusieurs reprises, située juste devant l’hôpital.
Le besoin engendre la création !! Devant la pénurie du personnel paramédical, quelques médecins ont pensé à mettre en place une école d’infirmière dite d’urgence. Ils ont concentré le programme de trois ans en 6 mois afin de former 50 infirmiers et de cette première promotion choisie par le Dr Farida celles-ci deviendront des sages femmes par expérience vu que l’école de sages femmes en période concentré également de 6 à 8 mois n’a pas encore vu le jour… Les besoins sont réels, la volonté des jeunes est énorme et au lieu de philosopher, les gens se sont mis au travail pour palier au manquement du personnel.
Notre Farida est de tous les combats. Elle voulait prendre une journée off afin de me montrer qu’elle sait être également une maîtresse de maison et m’inviter à manger chez elle afin que je fasse la connaissance de son mari, mais la demande d’interventions est telle qu’on a dû annuler le repas de famille et se contenter du repas frugale de l’hôpital.
Farida parle vite, en tension permanente assure la pression qui s’exerce sur elle avec une certaine philosophie créatrice. Jamais un mot plus haut que les autres vis-à-vis de son équipe de sages femmes et d’étudiantes et encore moins vis-à-vis des patientes. Elle est peinée quand elle laisse le service vide pendant les trois jours de sa formation, alors que les chirurgiens peuvent assurer les césariennes urgentes, peinée également lors de son seul jour de congé par semaine où elle peut s’occuper de sa maison et sa famille et peinée de constater que les patientes doivent venir de loin afin d’être à l’hôpital vers 6h du matin pour prendre leur tour de passage en consultation. Le chiffre de 65 est atteint très vite et les autres doivent repartir. Bien évidement, les urgences sont prises en surnombre et ce tous les jours. En capacité de travail, chaque jour elle doit assurer le travail de plusieurs médecins de garde à la fois.
Oum Ahmed, comme on l’appelle ici a acquis par son travail et son abnégation un respect dans toute la ville et au delà, surtout chez les hommes. Dès qu’on parle d’elle, ils expriment envers elle du respect et de l’admiration. Quand elle demande quelque chose, on se précipite pour lui fournir selon les possibilités bien entendu.
S’il fallait prendre quelques risques pour venir jusqu’à Alep afin d’aider et de former une personne de cet acabit, et bien ça en vaut largement la peine. Ce que je fais est peu de chose face à ce qu’effectuent tous les jours Dr Farida et ses collègues. Et ce, sans flancher ni abandonner leur destin… »