La loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public pionnière d’un cadre cognitif anti-voile
Il y a quatre ans, le 11 avril 2011, entrait en application la loi visant à interdire la dissimulation du visage dans l’espace public. Une tentative de contestation ayant pour but son abrogation a été lancée dès le mois d’avril de cette même année par une citoyenne française de 24 ans auprès de la CEDH (Cour Européenne des Droits de l’Homme) qui devait établir si cette interdiction constituait un « traitement dégradant », mais elle n’a pas abouti et la loi demeure bel et bien en vigueur.
Ces quatre ans de recul permettent une vue d’ensemble générale inscrivant cette loi au sein d’une histoire longue de la sociologie du vêtement féminin en France. Brièvement, je vais établir un bilan de cette circulaire et revenir sur le droit de la femme française à disposer de son corps, thème abordé dans mon précédent texte intitulé « De la banalisation d’un discours de rejet du voile vers une violence morale allégorique contre les femmes », droit visible en partie sous le prisme de ses choix vestimentaires.
Un consentement implicite de la communauté musulmane
Suite à la loi du 11 avril 2011, couramment appelée loi interdisant le niqab, une multitude de propositions de loi ont déferlé contre le voile : pour les nounous, les accompagnatrices scolaires, plus récemment contre les étudiantes voilées à la faculté. Des établissements publics reconnus prennent position contre le voile comme l’hôpital de Villeneuve Saint-George dans le 94. Finalement, légiférer contre le niqab, qui n’est que l’expression d’une forme de voile particulière, revient à ouvrir la voie à une série de lois contre les femmes musulmanes en élargissant le champ d’application de cette loi à d’autres types de voile.
Avant tout, la circulaire prohibant le niqab a vu naître un florilège de concepts et principes assez fourre-tout tels la laïcité, le vivre-ensemble, l’égalité homme/femme qui sont devenus des thématiques courantes en notant que ce processus s’est effectué avec l’assentiment global de la communauté musulmane dans la mesure où une frange assez importante, via les réseaux sociaux notamment, estimaient que le niqab est « de trop » pour reprendre les expressions utilisées et ce, même en dehors du CFCM qui a déclaré que le voile intégral n’est pas « une prescription religieuse » et relève davantage d’un choix d’individus. Ces allégations ont engendré un cadre favorable à l’établissement de cette loi.
Le voile intégral, un choix de femmes libres
Cependant, l’interdiction du voile intégral en tant qu’expression féminine d’un désir personnel, choisi et assumé ne constitue-t-elle pas une infraction du droit de la femme à disposer de son corps ?
Le port de ce vêtement rigoriste a fait l’objet de nombreuses enquêtes sociologiques qui ont conclu à l’indépendance des femmes quant à un souhait sculpté loin d’une domination ou d’une pression quelconque d’une tierce personne, d’un groupe ou de toute autre institution. Ces résultats ont été donnés par l’Open Society. J’ai moi-même de mon côté enquêté plusieurs années auprès de femmes portant le niqab par le biais d’entretiens, de journées d’observation participante, d’enquêtes statistiques ou encore de questionnaires, ces interviews ont démontré que ces femmes portaient de leur plein gré ce vêtement dans la mesure où il intervient souvent avant le mariage et dans une situation familiale hostile à ce changement vestimentaire. Les décisions politiques ont été prises en marge d’une réalité sociologique.
Mes enquêtes emploi du temps ont révélé entre autre que le niqab n’est porté que 3% du temps quotidien en dehors des vêtements de nuit, le reste étant le port de vêtements dits plus typiques du dress code de la société française (jupe courte, jean, legging, robe,…).
La loi interdisant les signes religieux ostentatoires à l’école fait intervenir un autre vocable et d’autres justifications comme l’état fragile des mineurs, c’est pourquoi je choisis de considérer la loi prohibant la dissimulation du visage comme pionnière dans une spirale de propositions de lois anti-voile de par son caractère discursif et globalisant s’étendant à l’espace public.
A l’heure actuelle, des jeunes lycéennes musulmanes se voient demandées de troquer leur jupe longue pour un vêtement plus court. Cette récente tendance fait partie de ce cadre instauré en 2011. Or, ces restrictions vestimentaires interviennent-elles en faveur du droit de la femme à disposer de son corps ? Le court est-il forcément synonyme de liberté ? L’interdiction fait échos aux règles qui régissaient le dress code de la femme française au cours des siècles.
L’interdiction vestimentaire comme règle de soumission directive des femmes
Le pantalon, dont l’abrogation de son interdiction pour les parisiennes fut assez chaotique et ne datant que du 31 janvier 2013, survient comme élément symbolique de l’émancipation des femmes. Le 7 novembre 1800, une ordonnance intitulée « ordonnance concernant le travestissement des femmes » précisait qu’une « femme voulant s’habiller en homme, se voit dans l’obligation d’aller à la préfecture » et ne pourra accéder à ce droit que pour raisons médicales. Les deux guerres mondiales ont largement participé à permettre aux femmes d’opter pour le pantalon.
L’interdiction de cet habit permettait de contraindre les femmes dans un espace spécifique, prohiber la jupe longue ou le voile à l’université ou encore le niqab dans la rue revient de même à concentrer les femmes musulmanes dans un espace qui serait cognitivement acceptable.
Le pantalon a ainsi donné la possibilité aux femmes de s’émanciper du masculin qui dirigeait implicitement le corps de la femme par des contraintes vestimentaires. Le corset du XVIIIème siècle est aussi éloquent. Il démontre comment l’homme imposait des critères de beauté allant jusqu’à la souffrance physique des femmes puisque le retirer était excessivement douloureux et les femmes pouvaient avoir des malaises à force d’être autant serrées au niveau de la taille. C’est ainsi que le regard masculin a contraint et sculpté le dressing féminin. Cette note n’est pas anodine dans la mesure où les cinq protagonistes de la loi anti-niqab étaient des hommes : Jean-François Copé, Nicolas Sarkozy, Eric Raoult, André Guérin et Jacques Myard.
Quatre ans après la loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, il est nécessaire de s’interroger sur le devenir de la femme musulmane en France qui met son corps, par le biais de son vêtement, à disposition des médias et des politiques dans la mesure où elle ne semble plus être première décisionnaire de ce qu’elle peut montrer et ne pas dévoiler. Il me semble important de se demander si la laïcité, le vivre ensemble ou toute autre explication suffisent à justifier une limitation du droit de la femme à disposer de son corps sans réserve.
Sociologue chercheuse en genre et religion
— L’opinion exprimée dans cet article ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction, l’auteur étant extérieur à Islam&Info. —