En Syrie dite libérée, il n’y plus d’état, des hommes souvent jeunes avec des habits militaires plus ou moins débraillés, des barbes hirsutes et des armes à la main peuplent les innombrables check points qui se font et défont entre les villes et les villages.
A l’aéroport d’Istanbul, je retrouve Ziad qui vient de Paris et on attend ensemble l’arrivée de Hassan du Luxembourg. Deux médecins syriens engagés auprès de leurs compatriotes dès le début de la crise. Je ne les ai jamais vus auparavant, juste eus par téléphone. Hassan et moi, avons un ami en commun. Hassan est urgentiste et Ziad, le responsable de la formation des médecins syriens est anesthésiste réanimateur. Plus tard, je serai rejoint par Ahmed qui m’accompagnera dans les centres de santé afin que je puisse évaluer la mesure des besoins. Oubaida, le responsable de communication n’a pas été de ce voyage. L’engagement de ces médecins leur prend un temps incommensurable, mais ils pensent que c’est leur devoir et leur destin. Ils ont constitué avec d’autres compatriotes l’Association d’Aide aux Victimes en Syrie (AAVS) et font partie de l’Union des Organisations Syriennes de Secours Médicaux (UOSSM) qui regroupe un certain nombre d’organisations médicales en Occident qui viennent en aide aux syriens de l’intérieur.
Dès le franchissement du poste frontière entre la Turquie et la Syrie, on retrouve l’hôpital Bab Al Hawa, des bureaux de douane transformés d’abord en poste d’urgence avec salles opératoires et un service d’accueil pour devenir petit à petit un hôpital avec 4 salles opératoires et pas moins de 8 à 10 interventions par jour, le tout dirigé par le Dr Joumaa. Un chirurgien viscéraliste et vasculaire.
Attenant à l’hôpital, le centre de formation avec salles de conférences et ateliers pratiques les médecins et secouristes qui viennent au centre sont logés et nourris durant la durée de la formation. Cette formation salutaire a été préconisée par le Pr Raphaël Pitti, un ancien médecin militaire qui a su adapter son savoir à des médecins de différents niveaux et ensuite à des secouristes afin qu’ils puissent faire face aux urgences qu’ils vont rencontrer. Le tout d’une façon ludique, simplifiée et avec des moyens limités.
En deux ans, l’équipe ainsi formée a pu donner des cours en enseignant à quelques 3000 médecins, étudiants en médecine ayant du stopper leurs cursus et secouristes. Ces personnes et d’autres soignent et aident toute la population qui se retrouve dans les zones dites libérées mais néanmoins bombardées lourdement et dénuées de toutes structures sanitaires étatiques hormis quelques privées et centres de bienfaiteurs.
Très difficile de se retrouver dans les différents noms des katibas qui contrôlent chacune un périmètre donné. Par contre il revient souvent les noms d’Ahrar Cham (Les Libres du Levant) Nosra et le spectre de Daech omniprésent flotte.
Les villages peuvent être bombardés et enclavés à tout moment et le temps de la quiétude est bien loin. Bien évidemment, la plupart des gens qu’on rencontre sont avec le soulèvement et la fin du régime du Baath oppresseur et injuste, mais la vie d’insécurité et d’arbitraire qui sévit est également difficile à supporter. Le bout du tunnel est invisible, pour tout le monde. On sent une fatigue et une anxiété latente.
La guerre est toujours difficile, et on ne va entrer dans des analyses stériles de qui a raison et qui a tort bien que les choses paraissent parfois et de loin évidentes. Quand une dictature sectaire gouverne depuis trop longtemps adossé à un régime oppresseur, elle enfante des activistes qui veulent la faire tomber et des jusqu’au-boutistes nourris par des interprétations de versets du Coran de circonstance et un profond ressentiment. Le peuple souvent patient est compris entre les deux.
Dans la Syrie dite libre, la vie est devenue chère, le prix des loyers a quadruplé et celui des denrées alimentaires et des services a augmenté. Les petites villes, jadis insignifiantes limitrophes des frontières ont pris un essor considérable avec la guerre. Devenues de part leur proximité avec la Turquie des plates formes commerciales importantes et le lieu de trafic de tout genre. Pas mal de voitures circulent sans plaques minéralogiques ou des plaques d’Europe de l’Est. Et pour faire circuler les véhicules, des raffineries traditionnelles et des points de vente d’essence ont vu le jour à l’entrée et sortie des villes et villages que j’ai pu visiter. Un sentiment étrange qui accompagne cette disparition d’état, un provisoire qui dure !! L’électricité n’est fournie que par des générateurs petits ou grands qui alimentent les maisons et les structures. Et la nuit a repris son drap noir (ou presque) dans les villes.
A quelques kilomètres de Bab Alhawa, il y a l’hôpital femmes-enfants de Dana soutenu par une association syrienne. Cet hôpital a pris place au sein d’un centre culturel et le génie humain a transformé des salles de lecture en salles de consultation, de naissance et en blocs opératoires. Ils ont pu trouver 4 gynécologues et 4 sages-femmes afin d’assurer un tour de garde. Entouré de quelques aides soignantes motivées, chaque médecin et sage-femme assure une moyenne de 20 accouchements par jour dont 7 à 8 césariennes. Eu égard aux conditions difficiles de vie de la population et de la destruction du système de santé, personne ne se plaint de cette charge de travail. Une des gynécologues déplore l’augmentation de la mortalité maternelle en couches puisque les sages-femmes traditionnelles se sont remises à accoucher les femmes dans les maisons et qu’il leur est difficile de les sauver (sauver leurs nouveau-nés) ou les transporter à temps en cas de complications.
Une régression qui fait très mal dans un pays qui a eu un niveau correct de soins. Et plus la crise dure, plus on devra s’ingénier pour former ceux qui restent à faire face aux complications et les gérer à temps. C’est une des taches qui m’ont été confiées par mes collègues syriens et qu’on va mettre en place durant l’année 2015. Les jeunes et moins jeunes médecins et soignants que j’ai rencontrés et qui ont choisi de rester sont très motivés malgré les difficultés quotidiennes et l’insécurité ambiante. Mais ils ne pouvaient pas (eux aussi) abandonner leur population.
Loin de l’image surannée de l’Islam véhiculé par Daech et servie par les médias dominants les soignants syriens que j’ai rencontrés expriment par les faits, ce qui est écrit dans le Coran : Celui qui sauve une seule vie, sauve l’humanité entière !!
Dr Zouhair LAHNA
A propos du Dr Zouhair LAHNA : Chirurgien Obstétricien et acteur associatif, travaille au sein de plusieurs ONG internationales, il a réalisé plusieurs missions de chirurgie de la femme et de formation de part le monde, notamment en Afghanistan 2001, Éthiopie 2003, Congo 2004, Cisjordanie 2002 et 2005, Gaza pendant les agressions de 2009 et 2014 et enfin pour les réfugiés syriens en Jordanie 2012 et au Liban 2014.
*** L’opinion exprimée dans cet article ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction, l’auteur étant extérieur à Islam&Info. ***