Islam&Info vous partage depuis déjà quelques semaines le carnet de bord du Docteur Zouhair Lahna, chirurgien obstétricien marocain, ancien chef de clinique des Universités de Paris VII et membre de médecin sans frontières, présent à Gaza en renfort.
La petite fille est allongée, les jambes fracturées et une plaie dans le ventre, elle doit avoir 6 ans environ, elle vient de perdre ses frères, ses sœurs et ses parents et quand on lui demande ce qu’elle a eu, elle répond : « je dormais et quand j’ai ouvert les yeux , je me suis retrouvée à l’hôpital entourée de médecins et d’infirmiers ». La psychologue lui prend la main et lui répète en notre présence que sa famille est montée au ciel, certainement au paradis et qu’elle ne devrait pas s’inquiéter, ceci apaise la petite qui regarde vers sa grand-mère. Cette dernière acquiesce avec sa tête tout en posant sur la petite fille un regard tendre et triste.
Je demande à Tahrir, la psychologue de l’hôpital Shifa ce que ressentent les gens lors des attaques violentes et quand les missiles surgissent, elle me répond que la plupart ne se rappelle pas, une femme lui dit que la dernière chose dont elle se souvient, c’est quand elle était en train d’étendre son linge, et puis plus rien, jusqu’à son réveil entourée de blouses blanches. Seules les blessures multiples par les éclats d’obus ou de missiles donnent des douleurs aiguës. Les grands éclats provoquent un évanouissement qui entraîne soit le décès soit une réanimation après un passage au bloc opératoire.
Dans les étages de chirurgie, alors qu’on cherchait avec mes collègues une fille qui a eu des dommages nerveux et osseux et par conséquent nécessitait plusieurs opérations, qui se feront vraisemblablement en Allemagne, j’ai trouvé un fonctionnaire qui m’a reconnu et m’apprit que sa fille était hospitalisée, cette dernière a reçu sur sa maison un missile de F16. Les palestiniens commencent à reconnaître la symphonie macabre jouée par l’armée israélienne, quand ils reçoivent un petit missile d’un drone sur la maison, ils attendent dans la foulée l’arrivée d’un plus gros et plus destructeur d’un F16.
La mère et ses trois enfants habitant une maison d’un seul niveau, un rez-de-chaussée seulement. Quand ils ont reçu le missile d’un drone, ils se précipitèrent pour sortir mais le second missile les rattrapa, alors il démolit la maison sur eux. Par miracle et destin, ils se retrouvent tous sous les débris de leur maison mais toujours vivants, la mère me dit qu’il ne lui restait que l’espace pour respirer, sinon tout son corps était enseveli, sauvée, choquée mais vivante, elle sait, autant que ses enfants, qu’ils viennent de naître une nouvelle fois.
Les palestiniens n’expliquent ceci que par l’intervention divine qui protège les innocents et prend ceux qu’elle souhaite, comme cet homme que j’ai rencontré et qui me raconte avec un sourire apaisant son acceptation du destin, que dix-huit personnes de sa famille ont péri depuis le début de cette agression. Des situations et un état d’esprit que je n’ai jamais rencontrés dans ma vie. Certes le fil qui sépare la vie et la mort est fin, cette fragilité prend toute sa dimension sous le ciel contrôlé et bombardé de Gaza.
En soignant les blessés et en écoutant leurs histoires, Il m’est toujours difficile de mesurer l’effet réel et le ressenti de quelqu’un qui reçoit un missile direct d’un drone ou d’un char ou encore un ou plusieurs de leurs projectiles sur son corps. Et encore moins ce qui peut bien se passer quand un individu se trouvant à la portée d’un missile plus puissant qui arrive d’un avion F16.
Dans ma petite chambre de l’hôpital Shifa ou quand je me suis aventuré à passer une nuit chez des collègues à Gaza ou à Khan Younès, j’ai bien évidemment entendu des explosions à un ou deux kilomètres et qui m’interpellaient à chaque fois, quand ces derniers sont à des distances plus proches et que la maison bouge, je sursaute de ma place ou de mon lit, restant coi quant à l’effet que pourrait bien occasionner l’explosion d’un missile à proximité. Ce que j’ai retenu des récits des blessés, que l’impact direct est tellement puissant qu’ils ne ressentent rien sur le coup. C’est bien plus tard que les douleurs apparaissent.
Telles sont les histoires de guerre forcément surréalistes et inhumaines et des situations extraordinaires qui ont permis aux palestiniens de Gaza d’encaisser dans leurs chairs et dans leurs demeures 10 000 tonnes d’explosifs environ…
A propos du Dr. Zouhair Lahna :
Dr Zouhair Lahna, est chirurgien obstétricien franco-marocain et acteur associatif. Ancien Chef de clinique des Universités de Paris VII et membre de Médecins Sans Frontières. Il a participé à plusieurs opérations humanitaires à travers le monde : Afghanistan en 2001, Congo 2004, RDC 2010, Jénine en 2005 et les guerres sur Gaza en 2009 et celle en cours.