Récemment nous vous présentions le Dr. Zouhair Lahna, actuellement à Gaza pour aider les équipes médicales sur place. Voici son témoignage écrit le 30 juillet. Islam&Info publiera dorénavant son carnet de bord dans lequel il raconte ses journées terribles à Gaza.
« Le mercredi 30 juillet, troisième jour de l’Aïd, Israël a annoncé une trêve de 4h à partir de 14h, les gens sont sortis faire des courses dans un marché du quartier déjà sinistré de Chajia.
Sans sommation, plusieurs missiles ont été lancés sur le marché faisant des morts et des blessés. A l’arrivée des ambulanciers et la presse, d’autres missiles leur sont tombés dessus faisant des morts et des blessés supplémentaires, telles sont les infos que j’ai pu recueillir en fin de cette journée mémorable.
Je me trouvais à l’accueil des urgences, quand j’ai entendu les sirènes de plusieurs ambulances et l’afflux des blessés. A peine le temps de mettre des gants et me voilà en train de porter des patients, de couper des habits, prendre des pouls et des tensions, très vite la salle de soins intensifs des urgences est saturée, à peine trois lits avec une première image déchirante d’un enfant de l’âge de mon fils sans vie déposé dans le même brancard de qui doit être sa grande sœur de 8 ou 9 ans en pleine réanimation, je me suis tourné vers une fille plus grande de 12 ans environ, consciente mais souffrante, elle avait une fracture au fémur, ce qui occasionne des douleurs insupportables et une hémorragie interne, je lui ai bandé la cuisse et demandé à l’anesthésiste de lui administrer de la kétamine, médicament de guerre par excellence, sorte d’anesthésiant qui endort et calme, ensuite j’ai pris l’appareil d’échographie pour ausculter les patients présents dans la salle pour savoir s’ils avaient une hémorragie interne et vérifier si les blessures occasionnés par les projectiles sont pénétrantes ou pas.
Poussant mon appareil et en me frayant un chemin au milieu d’une foule hagarde et pressée, j’arrive à la grande salle de réanimation où il y avait déjà des patients de la veille, cette salle comprend une dizaine de lits et très vite ils vont être occupés, les patients en arrivage vont être mis par terre, tous ceux nécessitant une intervention chirurgicale sont évacués rapidement au bloc opératoire.
Une panique indescriptible, on crie, on se démène, on cherche des voies veineuses, on essaie d’intuber, de prélever, de perfuser, de mettre des drains thoraciques, les réanimateurs essaient de trouver des voies centrales. Très difficile de s’occuper correctement des tous les blessés qui arrivent, parce qu’il faut faire vite et bien.
Parfois, malgré tous les efforts les blessés décèdent parce que les blessures ont atteint un organe noble comme le cœur ou le cerveau ou que ce dernier a lâché. On ne se pose pas de questions, on doit détourner nos efforts pour sauver ceux qui respirent encore.
Dans une atmosphère pareille, on a l’impression d’être celui qui cherche les âmes dans les corps, sont-elles encore présentes ou déjà parties? Une bonne dose de foi et d’humilité sont nécessaires pour vivre entre ces deux états sans flancher ni déprimer. Assister malgré les efforts de sauvetage, au départ des âmes.
Les corps sans âmes doivent laisser la place à ceux qui ont besoin de réanimation, on demande à quelques ambulanciers qui venaient d’arriver de prendre un jeune pompier décédé pour faire de la place, celui a qui j’ai tendu le bout de drap que je tenais, après avoir pris le bout de drap de mes mains et découvre en regardant la tête qu’il le connaissait, certainement un collègue, il a lancé un cri déchirant de douleur. Sans pouvoir lâcher le drap et en étant obligé d’avancer. Que c’est dur de devoir combiner sa peine et son devoir de secourir, tels sont les hommes que je côtoie a Gaza.
Poussant mon échographe, je fais des échographies abdominales en vitesse, passant d un blessé à l’autre à la recherche d’hémorragies internes.
Il y a peine une heure qu’une équipe du Croissant Rouge Soudanais a pu entrer que les voilà en pleine action autour d’un patient auquel je tenais la jambe pour un médecin certainement un orthopédiste qui mettait des gros pansements pour contenir une fracture ouverte du fémur, je suis le docteur Khalid du Soudan, et moi le docteur Zouhaïr du Maroc, étrange façon de faire connaissance.
Ensuite, Je suis monté au bloc opératoire pour me rendre autrement utile, les patients étaient allongés dans les couloirs, toutes les salles sont occupées. Il y avait même deux patients dans certaines salles, d’autres qui peuvent être transférés sont dirigés vers les blocs opératoires de la maternité dans un autre bâtiment et même à l’hôpital du Croissant Rouge Palestinien. Malheureusement beaucoup de survivants auront des bras ou des jambes amputés, l’inventeur de drones n’est pas vraiment un ami de l’humanité.
Résultat de cette frappe « chirurgicale » sur un marché de l’armée la plus « sophistiquée » et du seul état « démocratique » de la région est de 23 morts et plus de 160 blessés… »
A propos de Zouhair Lahna
Dr Zouhaïr Lahna, est chirurgien obstétricien marocain et acteur associatif.
Ancien Chef de clinique des Universités de Paris VII et membre de Médecins Sans Frontières.
Il a participé à plusieurs opérations humanitaires à travers le monde : Afghanistan en 2001, Congo 2004, Jénine en 2006 et les guerres de Gaza de 2009 et de 2014