James Baldwin et la situation des musulmans en France … | VIDEO et EDITO
James Baldwin était pour beaucoup inconnu et c’est le documentaire « Je ne suis pas votre nègre ! » qui a permis de faire connaître cet illustre personnage. Dans ce film Raoul Peck retrace la lutte des noirs américains pour les droits civiques à partir du texte et la voix imagée de James Baldwin.
James Baldwin, grand écrivain, et acteur de premier plan de la lutte d’émancipation des afro-américains a évolué aux cotés des Malcolm X et autres Martin Luther King. Mais c’est surtout à travers son écriture et ses entretiens que Baldwin révèle et imprime ce qu’est la vie de l’ostracisé de couleur en Amérique. Une analyse puissante de tout un système d’oppression s’exprime en délivrant en même temps une analyse quasi-psychologique du ressenti de la victime.
C’est ainsi qu’à l’instar d’un Frantz Fanon le système oppressif et sa victime sont analysés par Baldwin dans leurs profondeurs parfois très obscures et souvent inavouables.
A ce titre, on ne peut évidemment que tirer des comparaisons entre la situation de la minorité afro-américaine et la situation de la minorité musulmane en Europe. Même si les situations restent évidemment différentes du fait de leur histoire, des traits de jonction entre les situations de ces deux communautés opprimées s’opèrent quasi intuitivement pour le damné.
La minorité afro-américaine a lutté pour son émancipation face à un système oppressif qui n’a jamais voulu la considérer comme partie prenante de l’Amérique. Toutefois ces luttes d’émancipations furent accompagnées d’un vent de liberté partagé par beaucoup de non noirs et de progrès concrets dans l’arsenal juridique américain encadrant le droit des minorités. Malgré leurs efforts force est de constater que cette lutte, du point de vue de beaucoup de militants, a fini par échouer …
En France, pays des idées jamais réalisées, on s’émeut devant ce film de Baldwin, on le vante, on le promeut même. Mais pas un instant, on n’ose s’imaginer dresser quelques parallèles que ce soit entre la situation des afro-américains d’alors et la communauté musulmane en France aujourd’hui …
Et en fait on a raison. Comme dit précédemment, les élites américaines ont certes sapé les revendications révolutionnaires des militants noirs américains mais elles ont assuré une certaine politique d’amélioration de la situation noire qu’il estimait à juste titre dégradante. Réformer pour mieux endiguer … En France, contrairement à cette époque, c’est un vent d’islamophobie et non d’émancipation qui souffle sur les populations. Ce vent est non pas porté par des rengaines de populations arriérées mais est bien le fait d’élites politiques, médiatiques et culturelles qui cultivent cette stigmatisation en permanence.
C’est ainsi qu’en Amérique le droit donnait petit à petit raison aux noirs contre le racisme ancestral du pays, à contrario les lois islamophobes françaises se multiplient afin de susciter une césure au sein d’une société française fragilisée en mal d’ennemis fantasmés.
A titre d’exemple anecdotique, le noir a fait petit à petit son entrée dans le cinéma américain pour finir en héros principal. En France actuellement le musulman et la musulmane n’y font leur entrée forcée qu’au titre du grand ennemi à abattre; comme si les unes de la presse et des JT ne suffisaient déjà pas. Et on pourrait multiplier ce genre d’exemples en tout domaine de la vie française aussi bien politique, artistique, culturelle, économique que sociologique.
Ainsi si les situations sont certes différentes, certains indices paraissent identiques mais d’autres franchement plus préoccupants dans cette France de 2017. Car si les afro-américains partaient de plus bas, leur lutte entrait en apparence en concordance avec le « sens » de l’histoire.
Aujourd’hui la doxa dominante en Occident faisant du musulman l’ennemi extérieur puis désormais intérieur, la lutte pour la minorité musulmane en France semble beaucoup plus naviguer à … contre courant. Face à elle, une victoire des idées d’exclusion et des élites qui propagent le mal plus qu’elles ne l’endiguent.
Cet entretien de Baldwin nous interroge donc nous, aussi bien les oppressés que les oppresseurs, sur cette situation de fracture systémique entre majorité et minorité. Elle présage des douleurs mais nous donnent également des leçons d’avenir.
Si le combat d’émancipation doit se faire à l’instar des Black Panthers dans la rue tous les jours face aux comportements et aux lois islamophobes, face à des élites qui nous méprisent et qui organisent notre ségrégation, cette lutte est aussi culturelle. On ne peut pas combattre en délaissant le terrain des idées, on ne peut se représenter dans nos paradigmes en laissant continuellement les autres nous décrire en faisant de nous des « sujets » extérieurs en écrivant ainsi notre histoire à notre place.
Le témoignage poignant du militant de Baldwin en est la preuve …