Alep est devenue malgré elle, le symbole du martyr d’une population, et aussi de résistance. Cette ville qui a longtemps échappée aux troubles qu’a connu la Syrie depuis 2011 est entrée en insurrection pour se diviser au fil du temps en Alep-Est, des quartiers pauvres aux mains des rebelles, et Alep-Ouest des quartiers résidentiels aux mains du régime de Damas.
Quand j’y suis allé il y a un an par la seule voie qui pouvait la pénétrer dite du Castello (du nom d’un célèbre restaurant situé à l’ouest de la ville et où les Alépins avaient l’habitude d’emmener leurs enfants les week-end), il y a avait une accalmie relative, j’ai pu travailler dans l’hôpital Omar Bin AbdelAziz, mangé dans un restaurant et même assister au mariage d’un infirmier dans la vieille ville. C’est que la vie continue malgré la guerre, surtout si cette dernière dure.
Alep-Est est sous administration de plusieurs factions armées, de l’armée libre au Front Annosra devenu Front du Sham depuis que ses dirigeants ont déclaré avoir coupé toute relation avec Al Qaeda. Bien évidemment, personne ne souhaite les croire. Pire, les factions ne sont pas aidés de peur que les armes tombent entre des mains indésirables.
La route du Castello n’est plus praticable depuis des mois et Alep-Est est devenue assiégée avec ses 250 000 habitants et ses maigres ressources et moyens de défense. Des combattants de la province d’Idlib ont essayé de lever le siège par deux fois mais ce fut un échec avec bien évidemment une perte importante d’hommes.
J’étais en Turquie le mois dernier pour un premier congrès pour l’enseignement de la santé et la formation continue et j’y ai rencontré quelques chirurgiens d’Alep. Ils étaient dépités. Ils étaient à l’intérieur et sont sortis lors de la brève levée du siège pour voir leurs familles en Turquie, mais ils n’ont pas pu revenir puisque la route du Castello a été reprise par les combattants kurdes du PYD, un cousin du PKK.
Dans le jeu d’échecs syrien, les combattants kurdes se sont alliés au régime afin d’obtenir l’indépendance de leurs territoires au nord du pays. Et on peut voir dans leurs villes libérées comme Kobané ou Quameshli les portraits gigantesques aussi bien d’Assad que d’Öcalan.
A Alep-Est, ce qui reste des habitants est soumis à un déluge de feu par épisode afin de faire céder les résistants assiégés. Comme au Moyen-âge, les missiles en plus ! Le régime se fait aider par les milices shiites aussi bien d’Iran, que d’Afghanistan et du HizboAllah libanais, ce qui canalise le conflit vers une guerre confessionnelle intra musulmane entre shiites et sunnites.
D’ailleurs les mêmes combattent au côté de l’armée irakienne principalement composée de shiites à Mousoul. Ce scénario ne présage rien de bon, non pas pour les années, mais pour les décennies à venir.
Quand on vit quelque temps avec les syriens, on comprend pourquoi ils se battent et résistent avec cette acuité, ils ne peuvent plus vivre sous un régime dont ils craignent la brutalité et les moyens de torture. Ce que décrivent les rescapés des prisons dépasse l’entendement..
Au téléphone, mon amie, collègue et élève Farida à la voix tremblante mais ferme, la seule gynécologue dans cette partie de la ville et ce depuis longtemps. Elle n’a pas pu quitter ses patientes ni son hôpital jusqu’à sa destruction complète. Elle me dit que les bombes pleuvent autour de sa maison, qu’elle a encore un peu de nourriture dans sa taverne (riz, lentilles, fruits secs …) mais les prix se sont envolés. Parce que la guerre n’engendre pas que des combattants de la liberté et des résistants mais également des profiteurs et des marchands véreux. Quant à la question, comment on fait pour tenir, elle répond seulement qu’il faut de la Foi en Dieu, beaucoup de Foi pour ne pas tomber dans la dépression. Certains de ses collègues commencent à perdre la raison, elle a été obligée de prescrire des antidépresseurs à ses patientes enceintes, mais elle ne le fait plus, parce qu’il y a en plus dans Alep-Est étranglée…
Zouhair LAHNA
Médecin humanitaire