»La jungle » de Calais…
La jungle, c’est le nom qui est donné au camp de fortune qui a été installé aux abords du point de passage de Calais. Une installation provisoire (qui dure parfois) de migrants venus des pays en guerre ou de misère, et qui ne voient leur salut qu’en Angleterre. Pour eux, la France n’est ni un pays d’accueil, et encore moins des droits de l’homme eu égard au traitement que ses agents leur font subir. Entre maltraitance, coups, insultes et gaz lacrymogènes.
Nina, qui soutient ces damnés par ses propres moyens depuis un an et demi a pris en charge un jeune avocat syrien qui a été hospitalisé 6 mois suite à des fractures des bras lors d’une chute d’un camion et une seconde fois pour avoir été tabassé par les forces de l’ordre, qui lui ont de nouveau fracturé les deux bras. Ce jeune homme a passé 6 mois à l’hôpital dans l’indifférence des musulmans de Calais qui ne lui ont jamais rendu visite. Parce qu’ils ne savaient pas peut-être, ou tout simplement parce que s’occuper des gens de passage et des infortunés ne leur a certainement pas été enseigné ??
Et Pourtant, les migrants de Calais font les unes des pages des journaux et s’invitent sur les événements actuels. Les migrants de Calais sont en grande proportion des jeunes et parfois des familles avec enfants en bas âge qui viennent des théâtres des conflits dans le monde. Hormis les yéménites qui n’ont pas la possibilité de sortir de chez eux, tous les autres arrivent vers Calais, les syriens, irakiens, les soudanais, les afghans, les tchadiens, les érythréens, et d’autres qui fuient tout simplement la guerre sociale (la misère).
Les britanniques, individus isolés ou ONG viennent donner mains fortes à ces damnés de la terre qui souhaitent se rendre chez eux. Ceux qui font le plus de compassion et de bienveillance sont les irlandais et les écossais d’après ce qu’on m’a rapporté. Deux peuples d’immigration qui n’oublient ni leur histoire et encore moins leur humanité. Il est facile de voir dans ces jeunes gens, mal habillés et qui vivent dans de très mauvaises conditions, un danger potentiel qui invite à la méfiance, mais tout ceci se dissipe une fois qu’on avance à leur rencontre.
Beaucoup d’hommes et parfois des femmes ont pris des risques importants au péril de leur vie et brûlé leur passé pour un avenir incertain mais plein d’espérance à leurs yeux. Ce qu’ils souhaitent c’est d’être dans un terrain de paix et de pouvoir travailler et produire. Les syriens qui ont plus de facilité à obtenir le statut de réfugié eu égard à la violence meurtrière qui sévit dans leur pays, souhaitent partir en Angleterre et ne pas demander ce statut en Allemagne ou en France. Ils m’ont confié que cela leur faciliterait peut-être la vie en obtenant un lit dans une résidence, de quoi manger et même une indemnité dans certains pays, mais ceci ne leur suffit pas. Ils portent le poids de la responsabilité de leurs familles laissées au pays.
Ces jeunes gens n’ont pas immigré pour eux-mêmes, mais pour ceux qui attendent leurs virements une fois le travail trouvé. Et le seul pays qui permet de travailler de suite c’est le Royaume Uni. Tant de sacrifices, d’altruisme et de responsabilités de la part de jeunes hommes, que d’autres de leur âge, pas si loin du camp, tiennent les murs et squattent les cafés du centre ville de Calais, ne peut que susciter du respect.
Le 25 décembre, une dizaine de jeunes maghrébins m’ont rejoint à la jungle, la moitié étaient des femmes médecins, tous sont repartis bouleversés de ce qu’ils ont vu et ce juste en restant quelques heures auprès de ces migrants pleins de richesse. Entre colère pour leurs conditions de vie et stupéfaction devant tant de courage, ils se sont promis d’en parler, de mobiliser les gens et d’essayer de casser cette défiance qui n’a pas lieu d’être. Tous se rendent compte de la léthargie de la »communauté » musulmane (90% des migrants sont musulmans) et se demandent s’ils existaient vraiment des associations dites musulmanes.
L’association ALEDS de Lille présidée par un franco-syrien Samer fait un beau travail de collecte de distribution de denrées alimentaires, de vêtements et de couvertures et ce depuis 3 ans. J’y ai rencontré pas mal de personnes de bonne volonté qui sacrifient souvent leurs soirées et weekends pour mener à bien leur entreprise.
A l’instar des anglais, j’ai pensé avec les infirmières et quelques médecins au projet de mettre en place un point de santé permanent où des équipes peuvent se relayer toutes les fins de semaine, et si je trouve des motivés toutes les semaines. Le centre sera implanté dans la zone où résident les mères et enfants pour la plupart des kurdes d’Irak (je croyais que le Kurdistan irakien était prospère depuis son autonomie, mais on m’a fait comprendre que ce n’était pas le cas!!) Ces femmes et enfants ont préféré rester avec leur mari et ne pas aller au camp aseptisé de Jules Ferry (nom d’un centre de loisir transformé en camp pour l’occasion).
J’ai quitté » la jungle » de Calais avec ses restaurants afghans, ses coiffeurs avec hammam, ses échoppes, ses mosquées et ses églises. Un monde multiethnique et multicolore qui s’est créé à 300 kms de Paris. Un monde où des nationalités et des personnes se côtoient sans violence (du moins dans la journée sans l’influence de l’alcool et des stupéfiants). Tous attendent la bonne occasion pour prendre un bateau et partir de l’autre côté de la Manche. Ces hommes, ces femmes et surtout ces enfants nous rappellent à tous, la misère et les guerres qui sévissent dans leurs pays, pointent l’hypocrisie du monde dit civilisé et développé et dénoncent sans cris les marchands des armes et des âmes humaines…
Dr Zouhaïr Lahna, est chirurgien obstétricien marocain et acteur associatif.
Ancien Chef de clinique des Universités de Paris VII et membre de Médecins Sans Frontières.
Il a participé à plusieurs opérations humanitaires à travers le monde : Afghanistan en 2001, Congo 2004, Jénine en 2006, les guerres de Gaza de 2009 et de 2014 et la Syrie en 2015.