On a tendance à voir les réfugiés ou plus largement les immigrés comme un poids ou une anomalie dans une société, tandis que depuis tous les temps ce sont ces forces vives qui ont insufflé aux contrées qui les ont accueillis de l’énergie et souvent de la richesse.
Nous nous attardons sur leurs vêtements et les comportements de quelques uns qui prennent des bateaux pour arriver à »bon » port et parfois ils se noient ou échouent sur une plage. Parfois, nous n’arrivons pas à supporter des personnes qui se comportent autrement dans notre entourage, ou qui nous demandent de l’aide.
Nous venons tous de quelque part, les hommes et les femmes ont toujours voyagé et immigré en fonction de leurs besoins et de leurs possibilités. Parfois ce sont des politiques de transfert de population, la sécheresse, la religion ou encore des guerres comme en Afghanistan, Irak ou encore en Syrie. Quant à l’Afrique, elle subit une guerre sociale permanente orchestrée de l’extérieur et soutenue par une élite défaillante.
Quand on vit quelque temps en Syrie, on comprend un peu plus l’étau qui s’est resserré sur les gens pour qu’ils prennent la décision de prendre quelques affaires, leurs économies ou de s’endetter pour quitter le pays. Tout s’est écroulé en l’espace de quelques années. En dehors d’une insécurité ambiante et d’une mort qui peut venir d’un missile ou d’une balle lors d’un assaut ou d’un bombardement d’avion. D’une mort ciblée ou une autre en groupe sous le coup d’un baril de TNT.
Les gens ne sont plus à l’abri d’une insécurité d’un côté comme d’un autre. Plus souvent du côté du régime où les différents services dit de sécurité ou d’insécurité épaulés par des milices scrutant les gens surtout les jeunes et peuvent les faire disparaitre au moindre soupçon. Cet arbitraire à encourager la corruption et renforcé la peur dans les cœurs.
Du côté dit des rebelles, des bandits se sont également infiltrés, se sont constitués en groupes armés et exercent une certaine vendetta quand ils ne sont pas stoppés. Ces agissements ont été plus fréquents au début selon mes collègues et les choses se sont calmées par la prise en main de groupes plus puissants et mieux organisés. Entre arbitraire d’un côté et insécurité de l’autre, les choix ne sont pas nombreux. La moitié de la population syrienne doit puiser en elle pour trouver du courage et rester. L’autre moitié a du se déplacer.
Les plus fortunés surtout de la ville d’Alep ont trouvé refuge dans des grandes villes de Turquie notamment à Istanbul, Gaziantep, Latakieh et Murcie. Les professions libérales se sont expatriées dans les pays du Golfe ou en Europe. D’autres sont partis au Liban malgré la précarité de leur situation, en Jordanie pour subir les affres du camp de Zaâtari ou encore en Irak pour se confronter à une autre guerre. Les onze millions de syriens et irakiens qui vivent dans le territoire administré par l’Etat Islamique ou Daech eux doivent subir la rigueur et la répression d’une part et les missiles de la coalition internationale d’un autre.
Concernant la vie quotidienne pour ceux qui malgré tout sont restés sur place, plus rien n’est comme avant. Les possibilités de travail sont minimes, les salaires manquent, et la vie est devenue chère, les prix des produits alimentaires se sont multipliés par cinq ou six parfois dix. Le prix du pétrole, du gaz et des transports ont explosé. Les centrales électriques étant détruites, l’électricité n’est fournie que par des générateurs. Ceux qui les ont installés vendent l’électricité en ampères à la semaine. On achète selon ses besoins et ses possibilités. L’eau courante manque dans pas mal d’endroits, et il a fallu creuser des puits pour extraire de l’eau. Dans les villes si on ne creuse pas très profond l’eau risque d’être polluée par les eaux usées.
Les hôpitaux ont été la cible de l’aviation et ensuite des barils de TNT, les écoles et les mosquées également. Les habitants ont pu palier bon gré mal gré à l’éducation des jeunes en créant des écoles par-ci et par-là. Mais ceux qui ont des enfants en âge d’aller à l’université, ils n’ont que deux choix: l’immigration ou l’arrêt pur et simple des études.
Des pays ont accueilli des syriens, dont le plus gros nombre se trouvent en Turquie (près de deux millions) le Liban dans des conditions plus difficiles (un million et demi) et une partie de ceux-là venant surtout de la Hama et Homs et les villages qui les entourent, qui sont venus par avion vers l’Algérie et qu’on retrouve au Maroc.
Les premiers arrivants plus diplômés et ayant plus d’économies ont pu partir ensuite en Europe, ceux qui les ont suivis sont juste de la classe moyenne ou des ruraux. Soit ils ne peuvent pas partir en Europe ou ne le souhaitent pas préférant rester dans un pays musulman.
Le flux des réfugiés en Europe est le plus spectaculaire à cause des bateaux et le plus médiatisé. Mais les politiques ne sont pas orientées vers un règlement du problème à la source. La Syrie est devenue un terrain d’expérience pour plusieurs belligérants et mercenaires, sa population prise en étau devant un monde qui égrène les épisodes de cette tragédie comme d’une mauvaise série…
(bientôt la suite…)
Zouhair Lahna
Médecin humanitaire