Mahdia,
Vendredi est un jour de repos en Syrie. L’hôpital est presque vide, pas de consultations ni d’opérations ni d’interventions programmées. Seules les urgences sont actives. En début d’après-midi, Adnane le jeune chirurgien qui m’accompagne remarque un message de Wassil avec une photo d’une petite fille blessée. Il m’interpelle en me montrant la photo d’une petite de 4 ans environ avec un bassin explosé. La photo en elle-même est insupportable même pour nous.
Wassil le jeune chirurgien de garde à l’hôpital de Maarat demande si je pouvais l’opérer. On le rappelle de suite lui demandant d’envoyer la petite. On enfile nos pyjamas et on part au bloc pour demander à toute l’équipe de se tenir prête pour une urgence.
Une demi-heure plus tard, les sirènes de l’ambulance mettent tout le monde en état d’alerte et on emmène la petite directement au bloc opératoire. L’urologue, le traumatologue et le chirurgien vicéraliste sont tous présents.
La petite est pâle, ne pleure pas, une bande enveloppe son petit bassin et d’autres pansements sur sa cuisse gauche et ses deux petits pieds.
Une poche de sang est suspendue sur son côté droit lui procurant un remplissage du sang perdu et celui qu’elle est en train de perdre.
Comment tu t’appelles petite, lui demande un des infirmiers, »Mimi » répond-t-elle, diminutif de son prénom Mahdia !
Je saurais quelques heures plus tard de la bouche de son père, miraculé, ce qui venait de se produire en cet après-midi funeste de vendredi.
La famille habite un village au Nord de Hama, au sud de la province d’Idlib. Des combats plus intenses ont débuté depuis deux jours avec l’appui aérien russe, ce qui a décidé la famille à quitter leur domicile pour partir vers le nord. Le père a été appelé par un ami et le temps de quitter et de revenir chez lui, un obus s’est écrasé sur sa demeure pour lui prendre sa femme et détruire sa vie. Ses enfants, cinq filles transportées aux urgences de Maarat. La blessure de Mahdia étant importante avec perte de peau et de muscles et ouverture complète du bassin au niveau de sa région génitale. Wassil a très vite pensé qu’il pouvait me l’envoyer sur Idlib.
Quand on a commencé à défaire les pansements de la petite, les plaies nous ont choqués même si nous sommes médecins. Il y avait non seulement une ouverture de son bassin droit et de sa partie génitale d’avant en arrière mais également une coupure de la fesse. Les morceaux d’os en bouilli étaient partout. On ne savait pas par quel bout commencer cette intervention. On a commencé avec l’urologue par s’assurer de l’intégrité de la vessie, l’urètre qui permet aux petites filles d’uriner est écrabouillé. On explore petit à petit ce bassin, il y a une perte de l’os du bassin et du col du fémur. L’utérus n’est pas atteint mais le vagin est sectionné des deux côtés. Il fallait remettre tout ceci en place et surtout de refaire les muscles du bassin complétement déchirés et désorientés.
Je n’ai jamais réalisé une opération de cette complexité et j’ai dû utiliser tout le savoir que j’ai accumulé ses années d’interventions sur le bassin pour les appliquer ici avec l’aide de mes collègues syriens. Quand on a pu rétablir une anatomie correcte à la petite, on était heureux comme des enfants. Moins heureux le traumatologue qui a juste posé un fixateur externe pour immobiliser le bassin de la petite. Puisque l’avenir de son membre inférieur droit est très compromis.
Après cinq heures d’intervention, des douleurs atroces au dos à force de me contorsionner pour repérer des déchirures et passer des points, je suis allé m’allonger sur le canapé de l’entrée du bloc. Les yeux mi-clos, vidé de mon énergie, je pensais : Qu’a fait cette petite pour se retrouver en quelques instants orpheline et vraisemblablement handicapée ? Que peut bien faire le petit peuple face à ce déversement de puissances mondiales sur ce pays et ses habitants ? Comment éveiller les consciences d’un monde aveugle et sourd ? Des questions et peu de réponses. Un désastre qui rattrapera les inconscients… tôt ou tard…
Dr Zouhair LAHNA
Médecin humanitaire en Syrie