De l’hystérie au radicalisme : ces « maladies » qui maintiennent les femmes dans un état de déficience mentale
Le terrain des expressions féminines, qu’il s’agisse de ressentis, de paroles ou d’actes, demeure un terrain d’analyse flou. Les femmes ont en effet la réputation d’être irritables, de s’emporter rapidement et d’être incontrôlables. Afin de palier ce manque de maîtrise, un tas de maladies visant à les maintenir à leur place et à faire pression ont été inventées. Par exemple, à la fin du XIXème siècle, la maladie de la bicyclette fut créée, la « bicycle face », l’usage régulier de ce moyen de transport entrainerait la persistance d’une grimace d’effroi sur le visage de son utilisatrice. Dépression, anxiété, épuisement et maux de tête pourraient aussi en découler. En réalité, il ne s’agissait que d’un subterfuge pour lutter contre le vélo qui permettait aux femmes de se déplacer seules et encourageait leur émancipation.
A notre époque, certaines femmes ont orienté leurs choix personnels vers une pratique assidue de l’islam qui est rendue visible par un voile enveloppant le corps, je le nomme rigoriste dans la mesure où il cherche à répondre à la rigueur exigée par les textes sacrés d’après les dires des premières intéressées. Ce choix vestimentaire est libre et cette affirmation personnelle a été prouvée par de nombreux travaux sociologiques, M. Raphaël Liogier par exemple pour ne citer que lui.
Pourtant, cette revendication féminine engendre des difficultés de taille et une certaine mise à l’écart de la société. Deux récentes actualités placent cette distinction sur les devants de la scène.
En premier, le cas de la famille Msakni qui s’était vue retirer ses cinq enfants car suite au départ du père de famille pour la Tunisie, le couple fut soupçonné de radicalisme. La mère avait montré sa souffrance dans des vidéos émouvantes. Nulle question de nier le rôle et la douleur de M. Msakni mais force est de constater que son épouse s’est placée comme figure de premier ordre.
En second, une affaire plus récente, le cas de Nadia, une mère de famille qui a entamé une grève de la faim suite au retrait de ses deux enfants sans possibilité de les voir car il semblerait que sa pratique de l’islam soit trop extrémiste, cette maman porte un djilbab. D’après son témoignage, il lui a été demandé de consulter un psychiatre, de nombreuses questions lui ont été posées sur ce qui se passe dans le monde et le fait de savoir si elle possédait des armes. Sa meilleure amie a également été interrogée pour savoir si Nadia était une radicale. Elle a été internée dans un hôpital psychiatrique sur ordre du préfet. Du Valium lui a été administré. Elle a effectué une nuit en isolement. Finalement, le médecin psychiatre a établi qu’elle n’avait pas sa place dans ce genre d’institution, que sa santé mentale ne nécessitait aucune prise en charge. Toutefois, ses enfants devront être suivis par un psychologue pour un bilan psychiatrique.
Le lien entre psychiatrie et radicalisme est donc subjectivement établi. La présentation vestimentaire des deux mamans, en partie, a conduit à être étiquetées de radicales ou du moins que des soupçons de radicalisme pèsent sur elles.
Ainsi, ces conclusions font échos aux travaux de Maryam Borghée dans son ouvrage « Le voile intégral en France, Sociologie d’un paradoxe », puisque cette auteure estimait que le port d’un vêtement rigoriste survient à la suite de trajectoires de vie heurtées, ces femmes seraient fragiles psychologiquement, déséquilibrées socialement voire psychologiquement, le voile leur rendant cette assise sociale et psychologique.
«La majorité des femmes interrogées témoignent d’un parcours difficile où se mêlent violence familiale, précarité sociale et parfois fragilité psychologique. (…) Presque toutes ont connu une exclusion du champ économique et social, l’abandon, la mort ou la maladie chronique d’un parent, ou encore des maltraitances physiques et morales. Elles laissent transparaître une fragilité émotionnelle qui se traduit par un sentiment d’errance et de solitude.»
L’usage de la fragilité psychologique voire de la psychiatrie a été lourdement employé contre les femmes à partir du XIXème siècle et au cours du XXème siècle notamment par le biais de l’avènement de la neurochirurgie.
De nombreux cas d’abus d’internement au sein d’hôpitaux psychiatriques ont été mis en lumière au cours de l’histoire. La « surcharge émotionnelle » fut un concept phare afin d’interner les femmes qui seraient incapables de maîtriser leurs émotions et qui conduirait à la perte de la raison. Ce déséquilibre impliquera que les femmes seront les premières et principales victimes de la lobotomie, une pratique définie comme dangereuse et incertaine qui consistait à détruire massivement l’ensemble des fibres reliant un lobe cérébral au reste du cerveau. La première lobotomie fut pratiquée sur une femme du Kansas aux Etats-Unis en 1936. Son médecin, Walter Freeman, a expliqué qu’une « surcharge émotionnelle [a] conduit à la maladie mentale ». En vérité, cette pratique vise à une modification de la personnalité mais n’a jamais abouti à des résultats concluants sur le long terme.
Des problèmes psychiques de toute sorte donnés lieu à ce traitement, avec ou sans délire et relevant d’un discernement plutôt flou de l’équipe médicale. La lobotomie peut même être prescrite en raison d’anxiété. Le docteur breggins en 1972 auteur du « retour de la lobotomie et de la neurochirurgie » revient sur la proportion plus importante de femmes à se faire lobotomiser car ça serait « plus socialement acceptable » de lobotomiser une femme puisque les fonctions créatives sont détruites lors de cette opération et ces fonctions seraient négligeables pour une femme selon lui.
Walter Jackson Freeman, inventeur de la méthode controversée du pic à glace qui consistait à enfoncer ce fameux pic au niveau de l’oeil à l’aide d’un marteau dans le lobe frontal, estimaient que les femmes lobotomisées devenaient de bonnes ménagères. Ce médecin a réalisé à lui seul 3500 lobotomies. Il a tenté d’opérer des mères de famille dépressives lorsque cette méthode fut délassée au profit de traitements médicamenteux. Il fut interdit d’exercer en 1967 suite à la mort d’un patient sur la table d’opération. Lors de sa carrière, il entreprit une lobotomie sur Rosemary Kenedy, la soeur du futur président alors qu’elle était âgée de 23 ans, elle était soignée pour des troubles de l’humeur et un léger retard, la pauvre femme a fini sa vie dans un état végétatif et incontinente suite à l’opération.
Le radicalisme appliqué par certains au voile ample et enveloppant remet en cause la validité mentale et psychique des femmes qui revendiquent le port de ce type de vêtement. Des causes d’instabilité psychologique seraient évoquées pour justifier un penchant pour le radicalisme. Les femmes sont ainsi toujours victimes de la psychiatrie car aujourd’hui les femmes musulmanes acquièrent une indépendance morale et revendiquent leur autonomie vis-à-vis d’une quelconque autorité ou pression masculine.
Après avoir effectué des entretiens et des journées d’observation participante avec des femmes entièrement voilées, la proportion de femmes qui appartiendraient à cette frange fragile et psychologiquement instable ne représentent que 5% de mon échantillon.
Finalement, je conclurai en soulignant que cette psychologisation de la femme musulmane conduit à renouer avec l’essentialisation de la femme comme être dominé par les émotions, doué d’une raison particulièrement amoindrie. L’hystérie d’antan est désormais remplacée par le radicalisme qui puiserait sa source dans la nature instable et fragile de la femme.
Alice Gautier
Sociologue chercheuse en Genre & Religion
Blog L’oeil d’Alice
— L’opinion exprimée dans cet article ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction, l’auteur étant extérieur à Islam&Info. —