La femme musulmane, une remise en question de son ascension sociale
Devant l’insistance médiatique et politique à propos du voile et de manière plus générale de la femme musulmane, il m’a semblé primordiale de donner quelques éléments historiques, sociologiques voire politiques et idéologiques décrivant dans quel cadre et au sein de quel processus s’inscrivent ces prises de position.
Cette ostracisation essentiellement centrée sur les femmes voilées constitue une régression de la condition de la femme en France de manière globale. Je choisis de démontrer cette constatation sous l’angle de deux thèmes d’actualité : le débat autour des repas de substitution dans les cantines scolaires et celui sur l’interdiction du voile au sein des universités françaises qui malgré l’avis plutôt défavorable à une prohibition du voile du Président de la Conférence des Présidents d’Université, Jean-Loup Salzmann, a trouvé une issue déraisonnable via la circulaire interdisant le voile pour les étudiantes futures enseignantes en 2ème année d’Ecole Supérieure du professorat et de l’Education.
L’interdiction des repas de substitution, un frein à l’emploi des femmes musulmanes
Le premier débat portant sur les repas sans porc dans les cantines scolaires vise de plain fouet la femme et son épanouissement professionnel et financier. En effet, la femme demeure la personne qui prend le plus en charge en moyenne l’éducation des enfants et l’organisation de leurs journées, d’après les statistiques INSEE qui sont valables pour les familles musulmanes aussi bien que pour les familles non musulmanes.
Egalement, peu de foyers ont les moyens de mettre leurs enfants dans des écoles privées confessionnelles. Ainsi, les familles et surtout les femmes, comme expliqué précédemment, devront aller chercher leurs enfants pour la pause déjeuner. Mais ces femmes travaillent pour la plupart et n’ont pas nécessairement la possibilité de quitter leur emploi pour se rendre à l’école, préparer à manger et raccompagner leurs bambins à l’école pour une après-midi studieuse. Les mères seront confrontées au choix de faire manger du porc à leurs enfants ou de devoir arrêter leur travail ou en trouver un plus proche qui ne satisfera pas les mêmes avantages et ne garantira pas forcément le même niveau et la même qualité de vie. Les femmes musulmanes, voilées comme non voilées, sont prises au piège de ce débat pervers puisqu’il ne les cite même pas.
Le voile à la faculté ou comment les femmes voilées créent une dissociation hétérotopique
Quant à la possible interdiction du voile au sein des universités françaises, cette polémique est rétrograde pour les femmes car, sous couvert de laïcité, les femmes ne pourraient accéder à des études supérieures leur offrant autonomie financière, ouverture intellectuelle, accès aux sphères plus élitistes de la société. La femme dérange non seulement selon les espaces qu’elle fréquente étant donné que jusque là elle était visible mais au sein d’espaces qui ne donnaient pas lieu de s’y intéresser mais également à travers les fonctions qu’elle occupe. En effet, les femmes de ménage voilées sont tout à fait autorisées à travailler dans les facultés, aucune loi ou proposition de loi ou toute autre mesure ne voit poindre le bout de son nez à leur encontre. De ce fait, le problème majeur est l’ascension sociale de la femme musulmane et son implantation dans des espaces dits réservés.
Le voile crée une forme d’hétérotopie pour autrui c’est-à-dire qu’il véhicule des normes, des valeurs et des sentiments compris dans l’inconscient collectif comme venant de l’étranger, comme appartenant à un monde où la femme serait soumise au masculin, à un idéal viril. Cet imaginaire perturbe d’autant plus dans un amphithéâtre, lieu symbolisant le savoir, l’avancée sociale, la mixité sociale et l’égalité homme/femme.
Ainsi, les prises de position contre le voile à l’université tiennent davantage d’une subjectivité collective que d’une réalité concrète de terrain. Cette dissociation place la femme musulmane comme exogène, comme inappropriée et ce, à travers des discours, des sous-entendus, des dérapages grossiers voire des grimaces annonçant de facto qu’elle n’a pas les mêmes droits que tous et surtout que toutes c’est-à-dire que elle ne serait pas une héritière légitime aux combats des femmes pour leurs droits et liberté.
Des discours empruntés à ceux du XVIIIème
Cette mise au ban fait lourdement échos aux discours employés contre les femmes et contre toute avancée sociale de leurs droits au fil des siècles en France pour faire de la femme un élément extérieur aux progrès sociaux.
Par exemple, en 1789, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen bouleverse les structures de l’Ancien Régime, désormais tous les individus ont les mêmes droits et ce, bien encadrés par une loi s’appliquant de manière égale à tous. Mais le débat s’est porté sur la femme, sur la question de savoir si on pouvait la considérer comme un être humain. Même au XIXème siècle, lorsque la théorie de Drawin est venue chambouler les esprits en évoquant le fait que les hommes descendraient du singe, certains scientifiques , pour faire accepter ce pavé dans la marre, ont expliqué que la femme est le chaînon manquant de a théorie, elle serait entre le singe et l’homme. La femme ne serait donc pas vraiment un être humain sans être non plus un animal. Elle fait le lien entre la bestialité et l’humanité.
Emmanuel Kant, philosophe allemand du XVIIIème siècle, considérait que la femme est bête mais belle. Ici encore réside la tension entre l’intelligence et la beauté, la nature. Pour lui, il ne faudrait surtout pas tenter d’éduquer les femmes sous peine qu’elles s’enlaidissent.
Selon Gracchus Babeuf, grand révolutionnaire français du XVIIIème siècle, l’éducation intellectuelle nuirait à la procréation.
Enfin, Pierre Sylvain Maréchal, également militant républicain, célèbre écrivain du XVIIIème siècle, trouve un exemple absurde pour justifier la nécessité d’interdire l’apprentissage de la lecture aux filles : car elles pourraient lire les billets doux de leurs amants.
Les prétextes à l’interdiction de l’enseignement pour les femmes ne manquent pas, aujourd’hui c’est la laïcité, une dite égalité des sexes justifiant le fait d’empêcher les femmes d’atteindre des postes hautement qualifiés et qualifiés.
Alice Gautier
Sociologue chercheuse en Genre & Religion
Blog L’oeil d’Alice
— L’opinion exprimée dans cet article ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction, l’auteur étant extérieur à Islam&Info. —