D’une banalisation d’un discours de rejet du voile vers une violence morale allégorique contre les femmes
Depuis plusieurs décennies, notamment depuis la loi Veil de 1975 autorisant l’avortement ou encore la loi Neuwirth permettant l’usage des contraceptifs en 1967, le droit de la femme à disposer de son corps devient un principe non aliénable et primordial. « Notre corps nous appartient » est un des fameux slogans scandés lors de la naissance du Mouvement de Libération des Femmes (MLF) en 1968.
Le combat pour l’égalité homme/femme est une priorité du gouvernement, visible entre autre par la création du ministère du droit des femmes lors de l’élection de François Hollande en tant que président en 2012 ainsi que la forte médiatisation de l’égérie de cette structure, Najat Vallaud-Belkacem, qui a étendu le droit à l’avortement en 2014 en supprimant la notion de « situation de détresse » spécifiée dans la loi Veil, évolution vue comme une avancée pour le droit de la femme à disposer de son corps. De même, cette ligne demeure désormais entièrement acquise et validée dans les médias.
Un voile questionné affaiblissant les acquis de la femme à disposer de son corps
Paradoxalement, la considération de la femme musulmane actuelle tend vers une remise en question de cette disposition propre à chacun de son corps. Le corps de la femme lui appartient… à condition de ne pas cacher ses cheveux… Au nom de la collectivité, de la laïcité, de l’égalité homme/femme, le port du voile est questionné dans certains espaces et pour certaines fonctions : à l’université, pour les nounous, les accompagnatrices scolaires,… Manuel Valls a d’ailleurs déclaré en février 2013 :
« Le voile qui interdit aux femmes d’être ce qu’elles sont, restera pour moi et doit rester pour la République un combat essentiel ».
Récemment, Nicolas Sarkozy estime que ce vêtement ne respecte pas les conditions républicaines d’égalité homme/femme :
« Nous ne voulons pas de femmes voilées, pas pour des raisons religieuses, pas pour des raisons d’interprétation de l’islam » mais parce que « dans la République, la femme et l’homme sont à égalité ».
Le voile en tant qu’habit mu par une volonté personnelle et un souhait réfléchi, ce que de nombreux sociologues se sont accordés à déclarer, Raphaël Liogier notamment, appartient alors au domaine de ce que la femme désire montrer de son corps et à qui le dévoiler. Pourtant, ce genre de discours politiques alimente une restriction du sentiment de possession de son corps puisque la femme aurait à divulguer ce qu’autrui exige.
Le week-end dernier a d’ailleurs été le marqueur d’une violation de ce principe. A Marseille, un assesseur a forcé une femme voilée à montrer ses oreilles pour pouvoir voter et donc accéder à son droit le plus basique de citoyenne acquis depuis 1945 sans distinction de religion pour le motif que ses oreilles étaient visibles sur sa carte d’identité.
La femme concernée a affirmé avoir ressenti une humiliation profonde. Cette honte publique ressentie prouve que la propriété du corps de la femme musulmane est régie par certaines contraintes. L’assesseur a transgressé l’intimité marquée et désirée de la citoyenne normalement garantie par la loi. A cet instant, elle a été dépossédée de son droit exclusif d’appartenance de son corps. Désireuse d’accomplir son devoir de citoyenne, elle n’a pas vu d’autres alternatives que d’accepter la demande de l’homme et ainsi mettre une partie de son corps sous la demande d’autrui. Cette altération de la garantie physique de propriété corporelle fragilise et perturbe les avancées sociales en matière de droit des femmes et essentiellement du droit qu’elles ont acquis de disposer de leur corps de manière unique et exclusive sans condition.
Le public, spectateur double de cette intrusion dans l’intimité, joue un rôle majeur. Je le définirai comme double car tout en étant témoin involontaire, il contribue à renforcer le sentiment de dépossession corporelle et d’humiliation en décuplant par conséquent la gêne occasionnée.
De même, l’actualité rapporte plusieurs cas de refus de marier un couple en raison du voile de l’épouse qui sous la contrainte et la peur de l’annulation de ce grand évènement exécute les souhaits de l’élu.
Intériorisation d’une docilité morale actionnée devant des figures ou la fréquentation de lieux associés à l’Etat
Ces incidents ne sont pas anodins dans la mesure où ils donnent à voir l’impact réel sur les femmes voilées des différents discours et prises de position en tout genre contre ces dernières. En effet, l’inconscient de certains membres de la communauté musulmane a été conquis par le « soft power » français ambiant fragilisant la place de la femme au sein des structures étatiques renvoyant à une autorité symbolique contraignante. L’atmosphère anti-voile délégitimise le port de ce vêtement dans certains espaces et devant certaines représentations du statut social alloué aux représentants réels ou imagés de cette souveraineté. Les femmes musulmanes auraient ainsi intériorisé une hexis corporelle, un habitus favorisant une docilité morale lors de rencontres particulières ou de fréquentation de lieux singuliers. De cette manière, leur corps dans sa globalité adopte des ajustements liés à ces modulations de parcours.
La mairie ou encore le bureau de vote symbolisent des espaces liés à l’Etat directement en corrélation avec une forme d’autorité emblématique, assesseur ou élu municipal, peu tolérante à l’égard du voile qui serait une figure légitime de pression morale.
Par conséquent, la thématique du voile en France s’articule à travers un cadre spatial et par le biais de rencontres et du relationnel. L’un des points majeurs attachés à cette question est la violence allégorique subie par les femmes musulmanes qui peuvent perdre leur assise légitime légalement garantie.
Les espaces et les figures en lien avec l’Etat, sa gestion et son administration soulèvent des interrogations quant au sentiment que ressentent les femmes musulmanes face au pacte social devant assurer la sécurité morale et physique des français et françaises étant donné l’intériorisation négative qu’elles en ont fait. Ces lieux et figures symboliques renvoient davantage à une forme d’autorité coercitive plutôt qu’à une assurance du respect de leurs droits.
La tension exercée sur les femmes voilées d’un point de vue discursif et morale entraîne de fait l’intériorisation d’une acceptation aux évolutions législatives à leur défaveur et à la perpétuation d’allocutions anti-voile voire anti-islam.
Sociologue chercheuse en genre et religion