Alors que ma préoccupation première pour les femmes marocaines en âge de procréer est de pouvoir accoucher dans la dignité dans les hôpitaux publics ou de structures à moindre coût, j’ai été interrogé à plusieurs reprises sur mes positions sur le débat qui anime l’opinion publique marocaine sur l’avortement et sa légalisation.
L’avortement a toujours existé, mais l’évolution de la société et la vie difficile pour les uns et permissive pour les autres, le mettent en première ligne. Ou plus exactement, certains ont souhaité le mettre en première ligne. Soit, c’est un sujet épineux qui touche l’intégrité et la dignité de la femme (et des hommes) et surtout de leur morale religieuse. Si tant est de penser que la majorité des marocains sont musulmans et le revendiquent.
La dernière mise à l’écart (puis sa réintégration) du Professeur Chraïbi de la chefferie de service de Gynécologie obstétrique de la maternité des Orangers de Rabat, lui a suscité des sympathies et remis la question de l’avortement à l’ordre du jour au Royaume chérifien. En effet, Mr Chraïbi a créé en 2007 l’Association Marocaine de Lutte contre l’Avortement Clandestin (AMLAC) plaidant avec force et énergie pour le secours des femmes qui se font avorter dans de mauvaises conditions et par conséquent arrivent aux urgences hospitalières avec des infections parfois mortelles. Sans parler des mères célibataires qui n’ont pas pu ou souhaité avorter et leurs vies douloureuses contées par Mme Aïcha Chana qui les héberge dans les locaux de son association Solidarité Féminine et essaie de les réintégrer dans la société en leur apprenant un métier et par conséquent une ‘’situation’’.
Lors du dernier congrès de AMLAC en 2012, je suis intervenu dans le débat en expliquant qu’il est salutaire de trouver des personnes qui se battent pour les plus démunis et les plus abusés qui sont souvent des femmes de condition très modeste, souvent trahies par des hommes malintentionnés ou parfois par les enfants des familles chez qui elles sont venues travailler comme des bonnes à tout faire. Trahies par une société injuste et parfois des parents qui les livrent à la rue et ses affres. Mais, je n’ai pas entendu des propos concernant les sources de ce fléau. Parce que les médecins et les sociologues se doivent de chercher les causes et pas se focaliser sur le traitement des conséquences.
Si en France, la légalisation de l’avortement depuis 1975 a baissé le nombre de complications engendrées par l’avortement clandestin, le nombre d’avortements est resté toujours élevé malgré la gratuité des moyens de contraception et leur accessibilité même pour les mineurs. Et justement cette gratuité et anonymat pour les mineurs pour leur prise en charge a banalisé le geste. L’arrivée sur le marché de médicaments abortifs a banalisé encore plus les choses parce qu’on ne sent pas ce qu’on fait.
Mais en réalité, les femmes qui ont recours à l’avortement, le sentent toujours, que cela soit en prenant un médicament qui fait ‘’tomber’’ le sac au bout de quelques heures d’hospitalisation ou en s’endormant quelques minutes dans un bloc opératoire avec un réveil ensanglanté. Les femmes gardent toujours une cicatrice indélébile de cet évènement. Aucune femme n’a recours à l’avortement avec plaisir, parce que c’est une partie d’elle-même qu’on lui arrache. Et si la plupart d’entre elles sont motivées lors de la demande d’avortement eu égard à l’impasse dans laquelle elles se trouvent, plus tard l’inconscient lui joue des tours.
Alors que faire dans un pays dit musulman comme le Maroc, et de surcroit dirigé par le Commandeur des Croyants ? Toute action sociale devrait passer par le filtre de la morale islamique que partagent tous les citoyens. Il existe des cas qui permettent de sacrifier le fœtus pour préserver la vie de la mère et ceci existe déjà dans la constitution. Pour le reste, le rite malékite considère que l’œuf (Notfa amchaj) qui résulte de la rencontre de l’ovule de la femme et du spermatozoïde de l’homme est comme sacré parce qu’il porte l’ADN de ce qui va constituer le futur être humain.
Et les femmes qui subissent les affres d’une société sectaire et schizophrénique ? Rendons- nous leur service en légalisant l’avortement ? Je ne suis pas si sûr, cela risque seulement de le banaliser comme dans les pays où cette pratique est légalisée, sans parler de l’affront qu’on leur permette de faire à leur créateur, souvent par ignorance parce qu’une élite composée d’intellectuels et d’oulémas l’a permis un jour. Et il n’y a qu’à voir ce qu’est en train de faire la banalisation des crédits usuriers, la corruption et les passe-droits dans la société marocaine.
Si on aime les femmes, on les protège des rapaces qui abusent de leur confiance, puisqu’on nous parle de femmes faibles et abusées. Et combien même, demain on légalise l’avortement, il faudra ignorer les mentalités marocaines pour penser que ces pauvres femmes auraient recours à un avortement gratuit par un gynécologue dans le système de santé publique. La majorité si ce n’est pas l’unanimité se retranchera derrière l’objection de conscience.
Enfin, examinons les cas de l’inceste et des agressions sexuelles qui aboutissent à des grossesses. Ces situations sont extrêmement rares et on ne fait pas de lois pour des exceptions mais on les traite au cas par cas. Et si ces cas existent dans le monde musulman, c’est que la jurisprudence musulmane très sévère vis-à-vis des acteurs de tels forfaits n’est pas appliquée. Il s’agit de la peine de mort. Si cette jurisprudence est appliquée, on entendrait plus parler de ces ignominies. Et peut-être que le pédophile et violeur Daniel Galvan Viña ne serait jamais sorti de prison.
Au lieu de cela, c’est vers l’être vivant le plus faible qu’on souhaite s’attaquer, au fœtus parce qu’il ne peut se défendre. Ceci demande vraiment réflexion et introspection. Se substituer à Dieu pour décider qui doit vivre et qui doit mourir est très dangereux voire funeste. Puisque chaque grossesse qui se constitue et évolue vers l’utérus et s’implante ne se fait que par volonté Divine et les autres qui se terminent , le sont également par sa volonté. C’est ainsi que j’explique les choses à toutes mes patientes musulmanes qui sont venues me voir dans mes consultations en France pour demander un avortement. Sans les juger, je les oriente et les éclaire avec ce que je possède de bagage médical et religieux et les laissent faire des recherches et questionner leur conscience afin de ne pas essayer de réparer un verre une fois fracassé.
Dr Zouhair LAHNA
Gynécologue, obstétricien.
Ancien Chef de Clinique des Universités , Paris VII.
Acteur associatif et humanitaire notamment dans le domaine de santé reproductive.
— L’opinion exprimée dans cet article ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction, l’auteur étant extérieur à Islam&Info. —