Durant les bombardements à Gaza cet été, le docteur Zouhair Lahna était sur place afin de venir en aide à la population en grande souffrance et démunie face à tant d’horreur. Ce médecin est devenu célèbre en France à travers ses chroniques régulières qui décrivaient avec précision la situation des gazaouis. Il est chirurgien obstétricien franco-marocain et acteur associatif. Ancien Chef de clinique des Universités de Paris VII et membre de Médecins Sans Frontières, il a participé à plusieurs opérations humanitaires à travers le monde : Afghanistan en 2001, Congo 2004, RDC 2010, Jénine en 2005 et les guerres sur Gaza en 2009.
Anzar A. a interviewé ce grand homme.
Anzar A./ Salam aleikom Dr. Zouhair Avant tout, merci d’avoir accepté notre invitation et d’accorder cet entretien exclusif à Islam&Info et RNN FR.
Vous êtes chirurgien marocain et acteur associatif, vous avez participé à plusieurs missions humanitaires : Afghanistan en 2001, Congo 2004, Jénine en 2006 et les guerres sur Gaza en 2009 et celle terminée fin Août.
Pouvez-vous nous dire quelles sont les causes qui vous ont poussé à rejoindre Gaza, surtout dans cette période très critique ?
Salam Aleikoum, Je suis Chirurgien obstétricien et je travaille avec ce qu’on appelle les ONG médicales humanitaires depuis plus de 15 ans, dès que j’ai eu mon diplôme de spécialiste, je me suis engagé dans les ONG.
Les raisons de cet engagement sont lointaines; elles viennent de mon vécu de jeune au Maroc et des injustices que j’ai observées autour de moi, surtout dans le milieu hospitalier, parce que je m’y trouvais pour ma formation.
Mon premier contact avec Gaza fut en 2009, suite à la première agression israélienne; ensuite j’y suis allé en 2013 pour faire des formations en chirurgie; et là je m’y suis encore retrouvé en juillet 2014 suite à cette nouvelle agression tandis qu’il était prévu que je n’y retourne qu’au mois d’août. J’ai répondu à l’appel de Palmed Europe, une association de médecins palestiniens d’Europe et j’ai pu y aller avec deux autres médecins palestiniens travaillant en Grande Bretagne et en Norvège.
Anzar A./Comment la population Gazaouie vous a accueilli en tant que docteur musulman marocain ?
J’ai été très bien accueilli, mais ma présence a pris plus de poids et d’importance par ma décision de rester au-delà des deux semaines prévues au début, puisque je ne souhaitais pas partir avant le cesser le feu. Vu que les médecins ont été interdits de pénétrer dans la bande de Gaza, à part des nombres insignifiants eu égard à la charge de travail, la fatigue tant physique que psychologique et la demande des médecins qui souhaitaient venir aider. Mais ce sont des décisions politiques qui nous échappent et qu’on ne peut que subir souvent avec amertume.
Anzar A./Nous avons remarqué que vous êtes entré à Gaza juste quelques jours après le début de l’agression israélienne, parlez-nous des conditions de votre arrivée à Gaza ; avez-vous rencontré des difficultés ?
Bien sur qu’il y a des difficultés pour pénétrer à Gaza, déjà en temps normal, alors qu’elle a été sous les bombardements. Les responsables de l’association ont contacté les services égyptiens et malgré cela on a dû attendre 48 heures avant d’y pénétrer.
La première trêve proposée par l’Égypte a été refusée par le Hamas, alors la frontière est devenue presque hermétique pour les médecins, ce qui nous a surpris et interloqués…
Anzar A./Il ne s’agit pas de votre première arrivée à Gaza, parlez-nous de vos précédentes expériences ? Et quelle est la différence que vous avez pu voir cette fois en 2014?
Le cas de la Palestine est particulier pour tous les défenseurs honnêtes des peuples opprimés ou colonisés, en particulier par la charge de l’histoire contemporaine pour le Musulman et l’Arabe que je suis, tant par l’appartenance que par la culture. Ma première visite en Palestine fût en 2002 lors du siège de Yasser Arafat (ancien président palestinien) et du blocus de la population; ensuite j’y suis retourné pour travailler et enseigner dans la ville symbole de la résistance en Cisjordanie: Jénine en 2005 et 2006.
Ensuite comme j’ai dit plus haut à Gaza en 2009 et 2013. Mais cette fois-ci est particulière parce que c’est la première fois que je vis dans l’intensité d’une agression de cette façon et me trouver dans la réception des corps déchiquetés et martyrisés. De part la nature des blessures que par le nombre. La première que j’entends des bombes pas très loin avec un risque non négligeable d’y laisser la vie…
Anzar A./Quand vous êtes arrivé à l’hôpital Shifa, comment vous l’avez trouvé au niveau du matériel et du staff ?
Les hôpitaux de Gaza sont bien équipés si on les compare aux hôpitaux des autres pays de même niveau, surtout arabes. Les médicaments et fongibles manquaient au début, ensuite des fonds ont été débloqués par des personnes de Gaza afin d’acheter ce qui existait déjà dans les magasins de médicaments sur place, plus tard des aides sont venues surtout des états arabes. Parce que quand on ne peut pas faire de politique, on fait de l’humanitaire. Ce qui n’est pas vraiment le rôle des états, à mon avis. Ils devraient avoir plus de latitude pour faire plus…
Anzar A./Avez-vous rencontré d’autres médecins d’autres nationalités ?
On est arrivé en même temps que le médecin norvégien Mads Gilbert, on a trouvé l’autre chirurgien norvégien Eric Fos sur place, j’ai vu des médecins italiens qui travaillent avec la croix rouge suisse et quelques français avec l’ONG (MSF) Médecins sans frontières. Les arabes sont très peu nombreux, les premières après trois semaines étaient le croissant rouge soudanais ensuite tunisien, et plus tard une délégation de médecins palestiniens de la Cisjordanie et à la fin j’ai pu voir une délégation jordanienne.
Anzar A./ Le docteur norvégien que vous avez rencontré, avait écrit au président américain « Mr. Obama – Avez-vous un cœur ? Je vous invite à passer une nuit – juste une nuit – avec nous à Shifa …Je suis convaincu à 100% que cela changerait l’histoire. ». Que dites-vous de cet appel ?
Mr. Obama ne peut rien faire, parce que ceci le dépasse, il n’a ni les moyens de changer l’histoire même s’il avait la volonté. Et je ne pense pas qu’il ait la volonté qui aille dans le sens de la paix et de l’équilibre. Bien au contraire…
Anzar A./Pouvez-vous nous parler des conditions de travail à l’hôpital Shifa sous le bombardement permanent ; comment faites-vous pour venir en aide à tous les blessés ?
La gestion rigoureuse des moyens humains et des médicaments a pu satisfaire les besoins nécessaires aux hôpitaux durant toute la période de l’agression. Les palestiniens disent aussi qu’il y a une certaine « Barakah» « bénédiction » divine qui les aide à faire face à ces urgences hors du commun.
En effet, aucun hôpital au monde n’est équipé à recevoir 100 ou 200 blessés d’un coup, en plus des blessés [de moyens à graves] qui nécessitent une prise en charge de plusieurs médecins et infirmiers à la fois. Des examens radiologiques et bilans en extrême urgence et souvent des opérations multiples à l’étage du dessus. C’est difficilement descriptible.
Anzar A./En tant que témoin, quel message adressez-vous à l’opinion publique et au monde entier ?
Ce qui s’est passé à Gaza durant l’été 2014 est une grave injustice vis-à-vis d’un peuple sous occupation et dénué de ressources. Sa seule faute c’est de résister et de défendre sa dignité. Le Hamas n’est que l’épouvantail qui justifie l’agression qui s’est déroulée sous les objectifs des caméras et avec une approbation des puissants de ce monde d’un côté et le silence assourdissant des ‘’dirigeants’’ arabes et musulmans de l’autre. Cette acceptation de l’injustice n’est pas bonne pour l’équilibre de ce monde et ne présage, hélas, rien de bon.
L’être humain passe son chemin en ne regardant que ses intérêts immédiats et acceptant les versions des « Medias Mainstream » souvent mensongères, exécutant ainsi les ordres de bailleurs des complexes militaro-industriels.
Anzar A./ Pensez-vous que vous, avec votre témoignage, vous allez arriver à corriger l’impression créée par les médias-mensonges ainsi que les médias pro-sioniste, surtout en occident ?
Je ne sais pas si le témoignage d’un vécu peut servir à des gens aveuglés, je ne fais qu’enfoncer des portes ouvertes et j’essaye d’éveiller des consciences. Même les consciences des arabo-musulmans afin qu’ils se rendent compte de leur faiblesse. Et ce ni par les manifestations et encore moins par des propos violents qu’ils obtiendront le respect qu’ils réclament depuis longtemps et la place qu’ils doivent occuper au sein de la société française. Mais par une prise de conscience de leurs possibilités créatives et leur héritage religieux et culturel, afin de ne pas rester à la traine et sujet d’une suspicion permanente.
Le respect ne s’octroie pas mais se mérite. Et je mettrai plus en cause l’élite qui s’est embourgeoisée et ne remplit pas son rôle d’exemple et de moteur des plus jeunes et de ceux qui n’ont pas eu plus de chance d’une part et des instances religieuses qui n’ont pas abandonné leur langage soporifique lors des prêches en déphasage complet avec les préoccupations des jeunes musulmans et qui manifestent un avilissement qui ne fait honneur ni aux musulmans ni à l’Islam.
Anzar A./ Quand vous étiez à l’hôpital, vous étiez au courant des manifestations en solidarité avec Gaza dans différents pays ?
Bien évidement, les manifestations font plaisir aux palestiniens, mais ils ne se font pas d’illusion sur leur impact et leurs efficacités. Comment voulez vous en avoir ? Puisque le gros des bataillons qui la composent sont des musulmans émotifs qui oublieront une fois la crise passée… et comme j’ai dit plus haut ne bénéficient ni de respect ni d’impact électoral sur les dirigeants des pays occidentaux. C’est certainement bien à un moment donné, ça marque la solidarité et permet d’une certaine façon un exutoire pour les douleurs. Si les manifestations n’aboutissent pas à des actions et du rassemblement ce sont encore des rendez vous ratés entre les organisateurs et les « élites » et la base musulmane blessée des différents pays.
Anzar A./ Quel message adressez-vous au peuple palestinien, surtout après le cessez-le-feu et la victoire de la résistance ?
La résistance a résisté, Gaza s’en sort fière mais fatiguée et à genoux. Il va falloir beaucoup de temps et d’argents pour reconstruire un peu de ce qui a été démoli et les circonstances sont très mauvaises avec une Égypte défiante vis-à-vis du Hamas et une guerre de dislocation de l’Iraq et de la Syrie dans le coin. Le futur n’est pas du tout rassurant et les palestiniens doués d’intelligence que j’ai rencontrés ne se font plus d’illusion et s’attendent à d’autres agressions à venir. Leur force réside dans leur foi qui s’est trouvée renforcée lors de cette guerre déséquilibrée. Ils croient que leur destin est de vivre sur cette terre bénite et qu’ils doivent accepter ce destin qui procure au croyant une certaine noblesse. Face à la mollesse de la réaction des arabes et des musulmans, ils les mettent devant leurs responsabilités devant Dieu et devant l’histoire.
Dr. Zouhair, je vous remercie encore une fois pour vos réponses et pour le temps que vous nous avez consacré.
Qu’Allah récompense le Docteur Zouhair Lahna et qu’Il protège nos frères et soeurs en Palestine.