Un nouveau récit du carnet de bord du Dr Zouhair Lahna qu’on ne présente plus à nos lecteurs et qui est toujours présent à l’hôpital de Shifa à Gaza.
Les destructions des maisons ont provoqué des dégâts considérables tant sur le plan humain que sur le plan matériel. Des familles entières ont été décimées, on peut estimer leur nombre à 70 environ, parfois, un ou deux enfants ont survécu, des miraculés ou un parent qui n’étaient pas présents lors de la démolition furtive d’une maison sur ses habitants réveillés ou en train de dormir.
Abou Samra du Centre Palestinien des Droits de l’Homme que je connais depuis le massacre de 2008-2009, m’a interpellé au sujet d’orphelins qui vivotent avec des personnes de leur famille dans une des écoles de l’UNRWA qui sert de refuge aux palestiniens qui n’ont pas où aller. Il était affecté en me parlant de ces enfants qui ont tout perdu, parents et maisons.
On a décidé d’aller les voir pour leur attribuer une aide d’urgence et regarder les possibilités de parrainage (Kafala). L’école de l’UNRWA jouxtait l’hôpital Naser à Khan Younès, et s’est désemplis puisque les personnes qui avaient des maisons encore habitables, de la famille ou des moyens pour louer ont quitté cet endroit où l’intimité est absente et où les conditions de vie sont non satisfaisantes, il ne reste alors que les pauvres qui n’ont pas où aller. Parmi ces gens, je vois arriver une jeune femme, la trentaine accompagnée d’une ribambelle d’enfants.
On nous présente les orphelins, la grande fille 15 ans, visage fermé et yeux baissés, ensuite sa petite sœur de 11 ans et deux autres enfants plus jeunes, leurs cousins, un garçon de 5 ans et une petite fille de 4 ans.
Lors de l’attaque qui a démoli trois maisons contiguës dont celle de la jeune femme qui se situe à proximité et qu’elle a pu quitter à temps, les enfants n’étaient pas présents à la maison en ce 27ème jour du Ramadan, juste avant l’aube. Par contre deux familles qui ont quitté leur domicile en venant dans ces maisons pensant que c’était plus sûr, sont parmi les victimes de cette attaque meurtrière qui a coûté la vie à 23 personnes. J’ai demandé s’il y avait parmi ces gens, une personne recherchée ou un combattant. Elle me répondît que ce sont des petits vendeurs de poulets et d’œufs, ils n’ont rien à voir avec la politique, elle a insisté sur la vente des œufs au coin de la rue et la précarité de ces gens.
Il leur manquaient des matelas, des oreillers, des draps et bien évidemment des vêtements de rechange, on leur a procuré ceci et octroyé une aide d’urgence. Abou Samra a pris leurs noms et un numéro de téléphone en leur promettant de trouver un moyen de parrainer les enfants.
A ceux qui se demandent ce qu’ils peuvent faire pour Gaza, et qui ont la possibilité de s’engager à long terme, en voilà une occasion de prendre en charge un orphelin et même pouvoir établir des liens avec lui et l’accompagner à distance, en le laissant grandir dans son milieu naturel. J’ai promis à la tante qui s’occupe des enfants que je transmettrais les informations aux associations que je connais en France ainsi qu’au Maroc, afin qu’elles puissent faire le lien et le suivi.
Le cessez-le-feu n’est pas encore officiel que d’autres besoins surgissent, ceux-ci sont nombreux et complexes, et chaque personne de bonne volonté pourrait faire selon ses possibilités pour qu’on arrive à atténuer le choc des pertes. Parce que le mot reconstruction si cher aux Etats et aux ONG, ne peut remplacer ce qui a été démoli ou usurpé. Qui pourra bien remplacer une mère affectueuse et éducatrice et un père responsable et attentionné ? Bien évidemment personne… seulement la foi en Dieu et l’espoir en l’avenir qui permet aux uns et aux autres d’appréhender la vie du bon côté et de gérer un tant soi peu, l’absence, le manque et les séquelles d’un génocide qui ne dit pas son nom …
A propos du Dr Zouhair Lahna :
Dr Zouhair Lahna est chirurgien obstétricien franco-marocain et acteur associatif. Ancien Chef de clinique des Universités de Paris VII et membre de Médecins Sans Frontières. Il a participé à plusieurs opérations humanitaires à travers le monde : Afghanistan en 2001, Congo 2004, Jénine en 2006 et les guerres sur Gaza en 2009 et celle en cours.