Nabil Ennasri : Jihad en Syrie ?
« Y-a-t-il un Jihad en Syrie? »
Pour y répondre, je vous propose cet article et cette vidéo. Le sujet est capital. Voire explosif. Mais il mérite d’être débattu.
Y-a-t-il un Jihad en Syrie ?
Oui et la réponse peut choquer.
Mais elle ne choquera que ceux qui ont une vue tronquée du concept de « Jihad ».
C’est le débat du moment. « Jihad » par ci et « Jihad » par là ; sa simple évocation crispe et attise les tensions. Normal, il a été galvaudé et tellement mal compris. Dans quasiment tous les cas, le « Jihad » est traduit par « guerre sainte ». Du grand n’importe quoi. La « guerre sainte » est d’abord un concept issu de la tradition chrétienne. Vouloir appliquer cette notion à la tradition musulmane est non seulement un biais méthodologique mais une grossière manipulation sémantique. Le Jihad est surtout un concept empreint de la plus grande spiritualité. Il signifie d’abord et avant tout « de faire l’effort » ; faire l’effort de maîtriser son égo et lutter contre les penchants négatifs du cœur. Le Jihad se conjugue d’abord au niveau du « nafss », de l’âme et de son côté obscur. Certes, il peut s’incarner dans une situation de confrontation militaire ; dans ce cas, on ne peut lui accorder que le sens de la légitime défense et de la résistance à l’oppression. C’est du reste, tout ce que les autres traditions philosophiques considèrent comme du bon sens. Bref, on l’aura bien compris, beaucoup de médias ne s’embarrassent pas des subtilités et préfèrent l’émotion à l’investigation. Le « Jihad » caricaturé fait peur. Et surtout, il fait vendre.
Revenons alors aux fondamentaux. On a rarement autant entendu parler de Jihad et de Jihadistes que ces derniers jours. Pour faire le point, il faut revenir à la situation actuelle en Syrie. Que s’y passe-t-il ?
Le calvaire du peuple syrien dure depuis plus de trois ans. Une véritable hécatombe. Plus de 150 000 morts, des centaines de milliers de prisonniers, mutilés, blessés ou disparus. Le nombre de réfugiés se compte par millions. Depuis mars 2011, toute la panoplie d’armes de destruction massive a été utilisée pour punir le peuple syrien d’avoir osé revendiquer la dignité. En plus des Scuds, des MIG, de l’artillerie lourde ou des escadrons de la mort, la nation syrienne s’est vu infliger des campagnes de terreur d’une indicible cruauté. Avec parfois l’emploi d’armes chimiques, de viols collectifs ou de la famine organisée. Autour de Homs ou du camp palestinien de Yarmouk, l’entreprise mortifère du régime a été si violente que certains n’hésitent plus à évoquer des campagnes « d’extermination ».
La réalité porte un nom : la situation en Syrie relève de l’horreur absolue. Une horreur indescriptible. Le 17 juillet 2013, l’ONU rendait un rapport. Ses conclusions étaient sans appel. « La situation humanitaire en Syrie est la pire des situations humanitaires que le monde ait connu depuis le génocide rwandais en 1994 ». Depuis ce rapport, on a déversé des armes chimiques et des tonnes de barils de TNT. Le tout, dans l’indifférence quasi-générale.
Alors que faire devant ce drame bouleversant. D’autant bouleversant que le peuple syrien fait face, en plus de la cruauté d’un Etat de barbarie, à l’insupportable hypocrisie des gouvernements occidentaux. Ceux-ci, en plaidant verbalement la cause du peuple syrien, n’en ont pas moins joué un rôle majeur dans le refus de voir les opposants bénéficier d’armes sophistiqués qui leur auraient permis de changer le rapport de forces. Le « veto » russo-chinois au Conseil de sécurité a été doublé sur le terrain par un « veto » américain destiné à barrer la route à toute livraison d’armes antiaérienne qui auraient pu tomber dans les mains d’opposants qui, après les avoir utilisés pour mettre à bas l’aviation assadienne, s’en seraient servis pour combattre Israël. La peur d’un remake du scénario afghan : livrer des armes pour ensuite les voir se retourner contre soi. Un calcul sous forme de prétexte qui arrange bien l’administration américaine. Malgré les horreurs, la « responsabilité de protéger » qu’on invoque pour libérer le peuple libyen (et surtout prendre possession de son pétrole) ne fonctionne plus pour les Syriens. Dans ce jeu d’un cynisme confondant, on se rend compte que finalement, le régime d’Assad semble être l’option la plus défendue chez Obama et en Israël. C’est du reste ce qu’a récemment révélé plusieurs hauts responsables américano-israéliens. Il y a d’abord l’ex-directeur de la CIA qui a exprimé tout haut ce que beaucoup à Washington pensent tout bas. Le maintien de Bachar au pouvoir est « la meilleure option ». Avant lui c’était l’’ancien patron du Mossad qui affirmait, dans une revue américaine, que Bachar était « l’homme d’Israël à Damas ». Cette vision corrobore celle d’une grande partie de l’appareil d’Etat israélien. Et ce, pour une raison simple : Bachar au pouvoir, c’est l’assurance de ne jamais avoir d’ennui sur la frontière du Golan (protégée depuis plus de 40 ans par l’armée assadienne) avec en prime, une descente aux enfers de la nation syrienne. En gros, Bachar au pouvoir, ça permet de sécuriser les frontières, de voir la Syrie péricliter et donc d’avoir une assurance que ce pays ne pourra se relever que dans plusieurs siècles. Ariel Sharon l’avait compris avant tout le monde dressait déjà une réflexion prémonitoire. Dans ses Mémoires, l’ancien criminel de guerre israélien affirmait qu’il préférait le clan Assad qu’un gouvernement issu des Frères musulmans à Damas…
Pris en otage par une guerre qui désormais les dépasse, les Syriens n’ont plus que leurs yeux pour pleurer. Après avoir appelé à l’aide leurs coreligionnaires musulmans de la « Oumma » qui sont restés en grande partie bien silencieux pendant plus de 3 ans, les voilà aujourd’hui aux prises avec un régime qui continue à les écraser. Mieux, ils font aussi face à certains groupuscules radicaux et sectaires dont les méthodes n’ont parfois rien à envier aux sbires du pouvoir. Mais le responsable de ce chaos porte un nom : en jouant d’emblée la carte de la répression massive, Bachar savait qu’il précipiterait une fuite en avant et que, allié à la Russie, la Chine, l’Iran et le Hezbollah, il savait pertinemment qu’il pouvait continuer sa boucherie. Surtout quand il savait compter sur l’hypocrisie occidentale qui cantonnerait sa fausse indignation dans des gesticulations verbales.
C’est dans ce contexte de non assistance à peuple en danger de mort que la notion de Jihad devient un sujet de préoccupation. De notre point de vue, il y a effectivement un Jihad. Mais que l’on se comprenne bien, ce Jihad doit se comprendre selon les termes suivants :
– Pour le peuple syrien privé de ses droits depuis des décennies et qui subit une politique de terrorisme quotidien, ce Jihad ne signifie pas autre chose que ce que la déclaration des droits de l’homme et du citoyen stipule dans son article 2 : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression. » Pour le peuple syrien, ce Jihad signifie donc de résister par une lutte armée défensive aux assauts d’une mécanique mortifère qui a réduit la Syrie en poussières. Naturellement, il ne saurait s’agir ici de légitimer les éventuels abus et crimes perpétrés en réaction aux bombardements du pouvoir. En l’occurrence et pour être précis, ce Jihad pour les Syriens prendre la forme d’un autre concept coranique qui se nomme « Qital » et qui renvoie à la posture de belligérance effective dans le cadre d’une résistance défensive.
– Mais est-ce que ce Jihad légitime du peuple syrien devrait signifier que les musulmans français, belges et européens aillent combattre, armes à la main, aux côtés des opposants syriens ? Bien évidement que non. Ici, il faut le dire avec force : les jeunes qui vont combattre en Syrie et quittent leur foyer font une gravissime erreur et font fausse route. Et ce, pour trois raisons. D’abord, parce que leur impact dans le rapport de force sur le terrain est nul voir marginal. Ensuite, c’est que, après avoir brisé leur famille, ils se rendent dans des théâtres d’opération éminemment dangereux dont ils ne maîtrisent absolument rien. Enfin, ils ne répondent même pas aux appels du peuple syrien qui leur recommande d’agir depuis leur pays pour leur venir en aide. En voyage humanitaire en Syrie à l’automne dernier, c’est exactement ce que l’on m’a signifié : « la Syrie n’a pas besoin d’hommes ». La Syrie a besoin de la part des musulmans d’Occident (comme de toute conscience humaine) de soutien spirituel, d’assistance médicale, d’aide humanitaire et d’appui médiatique. Elle a besoin que son sort quitte les oubliettes de l’histoire dans lesquelles notre passivité l’a cantonnée. C’est donc un « Jihad » (oui « Jihad » au sens de l’impératif de solidarité) que l’on doit mener au niveau médiatique, financier, humanitaire et médical.
C’est donc dans cet esprit de solidarité que nous vous proposons cette vidéo. Une vidéo qui, nous l’espérons, contribuera à réveiller quelques consciences pour faire connaître la souffrance d’un peuple que le monde a oublié. Le peuple de Châm.